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14 mai 2022

Au Bonheur des Dames de Julien Duvivier - 1930

Au bonheur des dames 27

Duvivier est certes un cinéaste inégal, mais quand il décide d'envoyer du bois (et il le fera souvent dans sa période muette), il peut donner quelques magnifiques choses. En atteste cette très belle adaptation du roman de Zola, qui témoigne d'une puissance visuelle étonnante chez un gusse qui fera par la suite quelques gros nanars. C'est dans les années 20, avec sa course effrénée au progrès et à la croissance, que Duvivier resitue l'action d'Au Bonheur des Dames, et dès les premiers plans, on est happé par cette vitesse, ce vertige qui saisit la jeune oie blanche débarquée de province pour tenter sa chance à Paris : les rails du train, la foule qui la bouscule sur le quai, la grandeur des bâtiments, le speed, tout y est pour planter l'ambiance. On va être plongés dans un Paris bigger than life, un mastodonte qui écrase tout, les petits commerces et les amours. Denise retrouve son oncle, tailleur à l'ancienne complètement isolé dans un quartier en pleine mutation, grignoté par l'immense magasin "Au Bonheur des Dames", sorte d'Amazon de l'époque, un centre commercial qui a pour ambition de phagocyter tous les autres commerces. Tonton lutte, mais ça semble sans espoir. Denise va d'ailleurs trouver un emploi dans le magasin géant, bien soutenue il faut le dire par le patron lui-même, Mouret, qui est tombé raide dingue de son joli minois. On le sait bien : le capitalisme bouffe tout, et ces amours naissantes vont littéralement être ensevelies sous la course au profit (et aussi par la jalousie maladive de la maîtresse de Mouret). Le progrès est nécessaire, oui, et la fin du film annoncera bien l'ère de cynisme économique dans laquelle on se trouve aujourd'hui, mais bon sang, il faut raison garder : c'est ce que dit Duvivier, fustigeant les dirigeants, déifiant les petites gens, avant de montrer la machine à broyer les humains dans toute son horreur.

Au bonheur des dames 22

On pense souvent à Metropolis dans cette mise en scène très vaste d'un futur monstrueux. Utilisant les galeries Lafayette comme un décor grouillant, effrayant, le cinéaste (et son décorateur, Christian-Jaque) le filme à la fois fasciné et terrifié : au sein de cet énorme barnum, on reconnait toujours la petite héroïne (Dita Parlo, belle et talentueuse), ou les différents personnages principaux ; mais ils sont comme ensevelis sous la masse des figurants et des motifs. Très impressionnants plans d'ensemble, réglés au millimètre, montrant Mouret diriger tout ça du haut des escaliers comme un Docteur Mabuse (les rapports de pouvoir sont filmés verticalement, l'escalier devenant le vecteur de la puissance, de l'échelon social) ; ou magnifiques séquences de foule, très animées, de cantine où se jouent toutes les luttes internes, toutes les dominations (de classe, se sexe), filmées cette fois-ci plutôt horizontalement. Duvivier dope ces scènes-là, leur donne un caractère très spectaculaire, et on ne cesse de s'ébaubir devant les idées de mise en scène, les trucages, les beautés du montage, la pureté de ces gros plans sur Dita Parlo (rehaussés par la parfaite restauration du film). Car Au Bonheur des Dames brasse plein d'inspirations et les restitue toutes avec talent : on est parfois dans l’expérimentation typiquement russe, avec ces jonglages de plans insérés les uns dans les autres, de split-screen, de montage sophistiqué ; parfois dans l'école française, avec ces craquantes scènes de repos dominical ou ces romances désuètes tout à fait craquantes ; parfois dans l'érotisme, dans la comédie, dans le mélodrame... La réussite est totale, c'est non seulement convaincant visuellement mais aussi très satisfaisant dans l'écriture (le roman est là, même en muet, même réduit à sa trame) et dans la direction d'acteurs. Un vrai petit chef-d’œuvre oublié.

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