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30 mars 2022

LIVRE : Poèmes de Jean-François Sarasin - 1639-1654 (édition de 2022)

ScanEt un peu de poésie du XVIIème, bande d'ignares ? Ça vous calme un homme, ça, non ? Surtout qu'il s'agit ici d'un poète totalement méconnu, proche certes de Molière, glorieux certes en ses heures, bien placé certes dans les salons de ces dames de son vivant, mais depuis passé dans l'oubli. Réhabilitation, donc, à la faveur de cette parution aux vénérables éditions Domens sous la direction de l'érudite (et géniale) Sarah Perret, qui en signe la préface pleine d'informations édifiantes. La poésie de Sarasin, ma foi, va de cimes en abysses, et on est tantôt séduit par son brillant ton, par son ironie mordante, par le style pétillant, par les élans déjà à la limite du romantisme de certaines pièces, par la sensibilité mélancolique d'autres ; tantôt agacé par ses postures de cour usantes, par ses jongleries verbales pyrotechniques un peu vaines, par ses poses de petit marquis et par son name-dropping mythologique ou pastoral qui n'en finit plus. Le recueil tape dans toutes les veines, et on l'en remercie : ça permet d'avoir un aperçu assez complet des inspirations du gusse, et elles sont ma foi nombreuses. Des petits jeux littéraires de salon (de ceux qu'on voit dans Ridicule) aux élégies d'enterrement (un magnifique poème tout d’ambiguïté sur le cortège suivant le cercueil de son ennemi de toujours, Vincent Voiture), de poèmes d'amour (parfois gentiment coquins, voire carrément osés) à des bucoliques parfaitement surannées, Sarasin aime à varier les thèmes, tout comme il jongle avec les styles, passant du sonnet à la prose, de l'églogue à la ballade, de l'alexandrin à l'octosyllabe, voire aux vers irréguliers ou aux "prosimètres" (mélange de prose et de vers). Dans tous les styles, il faut bien le reconnaître, le gars est comme un poisson dans l'eau. Si, au niveau de la versification, il accuse quelques faiblesses, au niveau de la construction des poèmes, et de la beauté de certains vers, il est parfois proche d'un Racine. De toute évidence à l'endroit exact où il fallait être (inspirant La Fontaine et flattant la fesse de Marquise, faisant courbette au prince de Conti et doté d'un regard sur le petit monde social et littéraire de son époque), il fait briller la langue dans l'esprit de son temps, tantôt sérieux tantôt drôle mais toujours avec panache.

C'est quand il est mélancolique qu'il parvient peut-être à trouver la plus belle simplicité et les images les plus pures ("Au bord de l'océan, où le flot qui se joue / Avec beaucoup de bruit produit un peu de boue (...)"). Mais il sait être d'une méchanceté réjouissante (quelques vacheries adressées à une femme qui le délaisse, une façon très désabusée de traiter l'amour quand il n'est que galanterie), et d'une grande drôlerie quand il s’agit de divertir ces dames, en écrivant une fable sur les souris, en glissant quelques allusions fines à ses parties charnues à la fin d'un poème d'amour, en servant quelques chutes délicieuses. Le talent de Sarasin éclate dans les petites pièces sans façon plus que dans les longs travaux sérieux, trop envahis par la pompe rococo qui le gagne plus souvent qu'à son tour. Dans ses pires moments, on a l'impression de retrouver le petit marquis du Misanthrope qui vient déclamer son poème ringard aux oreilles d'Alceste, alors que c'est Sarasin lui-même qui en a suggéré l'idée à Molière avec un poème se moquant justement des mauvais poètes. Mais heureusement, il sait la plupart du temps éviter la vanité et l'inconsistance, et sert quelques très belles pièces dynamiques ("Ballade du pays de Cocagne"), secrètement douloureuses (une "Elegie" toute en douceur), ou respirant l'humanité ("Ode à un ami absent"). Une jolie découverte en tout cas que ce poète à perruque, qui écrit comme on n'écrit définitivement plus, témoin d'une époque où les bergers aimaient les bergères, ou les marquises se cachaient derrière leurs éventails pour rire de quelque grivoiserie et où on aimait à invoquer Homère pour se parler d'amour.

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