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8 janvier 2022

Il n'y aura plus de Nuit d'Eléonore Weber - 2020

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Typiquement le genre de film qu'on adorerait aimer, mais qui ne parvient pas à nous satisfaire complètement au bout du compte. Eléonore Weber est tombée sur un trésor avec ces images provenant d'opérations militaires prises depuis des hélicoptères, à distance du point central : celui-ci étant constitué de ces petites cibles humaines, rendues sensibles par l’effet infra-rouge des caméras, et qui constituent autant de victimes potentielles du feu qui ne va pas manquer de s'abattre sur elles. Images qui ne sont pas destinées à être projetées ni même regardées, et que Weber transforme en une étrange poésie morbide et hantée, qui ouvre sur une réflexion sur le pouvoir contemporain de donner la mort à distance, sans affect. Pas de style dans ces plans quasi-scientifiques : on filme pour garder une trace en vue d'éventuels procès futurs. Ce qu'on voit : des silhouettes qui s'agitent, porteuse (ou pas) d'un danger potentiel, puis tout à coup des rafales qui viennent les abattre. Aux commandes, un militaire perché à plusieurs centaines de mètres au-dessus de la scène, sensé scruter ces silhouettes pour décider de leur potentiel terroriste et décider de leur sort. La mort s'abat implacablement sur ces être humains privés de toute identité par l'objectivité des images, on vient achever les blessés, faire exploser les maisons, dans une belle indifférence (et parfois même aux cris de joie des exécutants). C'est donc avant tout de l'effroi qui jaillit de ce film constitué uniquement de ces plans muets et la plupart du temps nocturnes : l'impression que la guerre n'est plus une affaire de corps à corps, mais de distance, où les force en présence sont totalement déséquilibrées. Ces petits mecs semblent déjà convaincus de leur mort prochaine, ces hélicoptères qui les bombardent à distance sont pilotés par des jeunes gens au cerveau éduqué pour leur tâche, tout ça est bien triste.

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Pour ajouter encore à l'ambiance sépulcrale de son film, Weber a demandé à Nathalie Richard d'enregistrer une voix off éclairant un peu la lecture de ce qui nous est donné à voir : sur un ton neutre et un peu alangui, la dame nous éduque sur l’inéluctabilité de la mort, sur l'indifférence de la guerre, et aussi, plus poétiquement, sur l'abolition de la nuit : les dernières images, spectaculaires, montrent les progrès en matière de technique, on voit comme en plein jour des images prises pourtant de nuit. Quand la nuit sera abolie, la mort pourra tomber sans frein, nous dit en substance cette voix off, et on fait moins les malins. Il y a une sorte de fascination dans ces images, qui attirent de façon un peu gênante : on est tendus vers l'explosion qui ne manquera pas d'aller faucher ces silhouettes sans âme, fasciné par cette nouvelle manière de tuer. Le film tient beaucoup sur cette fascination, sur la beauté finalement de ces plans qui s’apparentent souvent au cinéma expérimental, à celui des origines, et sur l'atmosphère ouatée et assez cauchemardesque dans laquelle Weber arrive à nous plonger avec sa voix d'outre-tombe et ses images déréalisées. Mais son discours "philosophique" peine un peu à prendre : si on est attiré par ces plans, si la présence de la mort est vraiment prégnante, le film ne parvient pas à nous envoyer plus loin que ça, à extrapoler sur une vision plus métaphysique, ce que pourtant la dame essaye de faire, on le sent bien. Il aurait fallu un Des Pallières pour arriver à interpréter ces images, à les transformer en acte poétique, à conférer à ces ambiances mortifères une aura de beauté. Là, on s'arrête à la simple brutalité des images ; c'est déjà énorme, et ça suffit presque à trouver le film précieux ; mais on eût aimé être bouleversé.

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