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8 janvier 2022

Édouard et Caroline de Jacques Becker - 1951

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Oui, non là il me fallait de la légèreté pour lancer la nouvelle année sur de bonnes bases, je crois pouvoir déclarer que j'en ai trouvé. Et une telle légèreté qu'on pourrait presque la taxer d'indigence, si ce n'était le bon Jacques Becker aux manettes, dont on connaît le savoir-faire et la modestie. On mettra donc ce tout petit vaudeville sans enjeu sur le compte de la simple volonté d'amuser le peuple à bon compte, sans chercher à y voir un miroir des mœurs de l'époque ou un quelconque message adressé aux jeunes générations, et on se contentera de roupiller plus ou moins profondément devant les intenses aventures d'Edouard et de Caroline. Qu'on en juge : invités à une soirée huppée, ce gentil couple mal assorti mais craquant se retrouve face au plus terrible événement qui se peut concevoir : monsieur n'a pas de gilet. Dispute avec madame, mais notre garçon part en emprunter chez sa belle-famille, dont il ne porte pas les apparats grands-bourgeois dans le cœur. Mais là, nouveau coup de tonnerre : la concierge s'impose dans le foyer pour écouter monsieur (qui est pianiste) jouer du Chopin. Que de temps perdu, mazette, et avec tout ça les invités qui attendent. Caroline décide alors de couper sa robe, la coquinette, au grand effroi de monsieur qui la gifle. C'en est trop, la tension est à son paroxysme, Edouard se rend seul à la soirée, joue du piano en se languissant de sa Caroline qui veut demander le divorce ; mais voilà la bougresse qui débarque là-dedans, accompagnée par un cousin dragueur. Nos deux gentils pigeons finiront-ils par reconstruire leur nid et retrouveront-ils la tendresse grondeuse à laquelle ils sont habitués ? Ouh, rien n'est moins sûr, permettez-moi de me resservir un rhum-coca avant la résolution finale.

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Au niveau de l'enjeu dramatique, on le voit, on est assez loin du gros suspense. Tous les minuscules accidents qui émaillent le film semblent ne durer que trois secondes et n'avoir une portée que de quelques centimètres : la concierge qui débarque, le gilet qui manque, la robe coupée, le cousin dragueur, les mille et une petites tracasseries dont est victime notre couple, ne servent quà remplir les 90 minutes du métrage, qui est totalement dénué d'intérêt de ce côté-là. C'est même à se demander si Becker n'a pas vu là un challenge : faire tout un film sur le vide. Rien n'est grave (hormis la gifle qu'Edouard finit par asséner à Caroline, véritable électro-choc du film), rien ne porte à conséquence. Et il faut finalement au bougre ajouter de très longs moments de solos de piano (ma foi bien sentis) pour meubler le temps entre deux pertes de boutons de manchette et trois tâche de sauce sur le poignet. On pique du nez gentiment et poliment, un peu hébété quand même par l'inconsistance de ce qui nous est raconté, en cherchant à se raccrocher à quelque chose d'un peu saillant dans ce scénario exsangue. Mais il nous faudra ronger notre frein.

edouard-et-caroline2

Heureusement, cette indigence scénaristique est compensée par la belle fraîcheur avec laquelle toute l'équipe nous raconte sa non-histoire. Daniel Gélin et Anne Vernon (dont on goutera les charmes physiques à son aise, libération des mœurs aidant), dans les rôles titres, excellent à représenter les petits tics de leur génération, têtes de linotte et orgueils mal placés bien en évidence. Ils apportent un indéniable dynamisme au film, et la bande de seconds rôles qui leur est attribuée fait le reste, entre ex-beautés toutes en rouerie et vieux aristos arrivistes (même le tout jeune Jacques François en dandy à revers blanc cassé). Et puis c'est Becker qui filme, et le gars pourrait vous doper un documentaire sur la chasse à l'arc sans souci : toute la première partie, qui se passe dans l'appartement du couple, est un modèle de montage énergique et de mise en scène dynamique, malgré l'absence d'outils scénaristiques. On a l'impression que tout virevolte, que tout chante, alors qu'on reste dans de minuscules problèmes domestiques et des dialogues platounets. Bon, la deuxième moitié est moins inspirée, mais on aura quand même remarqué dans cette première un souci constant du placement des acteurs, de la distribution des points de vue, et une joie de filmer vraiment communicative. Peu importe alors qu'il n'ait que ça à filmer, et que ce ton désuet à faire entendre : il le fait avec bonheur, et avec un sens du cinéma jamais démenti.

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