Le Rouleau compresseur et le Violon (Каток и скрипка) (1960) de Andreï Tarkovski

On change une nouvelle fois de registre avec ce troisième et dernier film d'études du gars Tarko : alors, certes, le titre, donne déjà une idée du concept et on ne peut pas dire que cela soit, à priori, d'une finesse extrême ; il s'agit quand même d'une histoire entre un gamin violoniste qui charme (et qui est charmé par) un ouvrier qui conduit un rouleau compresseur... Eh oui, le communisme triomphe, l'art et le goudron ne font qu'un. Sur ce concept propagandiste qui pourrait faire passer un tank pour un moyen de transport économique, Tarko parvient malgré tout à nous conter une histoire qui fait mouche. D'abord, j'avoue une petite faiblesse personnelle, gloire en soit rendu à ces couleurs pastel, sépia, que sais-je, qui me vont esthétiquement droit au cœur  : ces rouges, ces verts, ces bleus... sont tout de même uniques... Ensuite, parce que Tarko commence à expérimenter des petits effets de style : les effets de miroirs et d'images difractées quand le gamin se retrouve devant le magasin ou encore ces bien belles images de reflets - Tarko, après l'averse, filmant les flaques avec un sens du cadre indéniable. Enfin, parce que, malgré ce sujet qui se doit d'allier au forceps la force (l'ouvrier et son rouleau, un ouvrier qui prend le gamin, harcelé par d'autres chieurs, sous son aile) et la finesse (le gamin et son violon, un gamin qui joue de son instrument lors de la pause de l'ouvrier), Tarko parvient par endroit à insuffler quelques petites touches de poésie légère. Il y a d'abord le coup de la pomme (tu connais le coup de la pomme ?), très mignon, avec la gamine au début du film (pas de dialogue, qu'une petite mise en scène où les attitudes des deux gamins, timides ou espiègles, font le reste). Puis cette fameuse scène où tout d'un coup, le gamin, filmé en contre-plongée et violonnant sous le regard éberlué de l'ouvrier qui en oublie sa gorette, semble atteindre d'autre sphère. Et il y aura aussi, sur la fin, ces plans qui tentent de traduire ce qui se joue dans la tête du gamin : enfermé chez lui par sa mère alors qu'il avait rencard avec l'ouvrier pour aller au cinoche (eh ouais, l'ouvrier russe va régulièrement au cinoche), son esprit dévale les escaliers et court après ce cow-boy d'ouvrier qui s'éloigne sur son fidèle destrier-compresseur... Mais si c'est craquant. Encore un projet esthétiquement très fignolé, plein d'attention aux êtres et aux relations qui se nouent ; le temps est venu pour Tarko de s'attaquer à des mets plus personnels et originaux.  

Se taper Tarko