Le Lieu du Crime d'André Téchiné - 1986
S'il y a un cinéaste dont les films vieillissent mal, c'est bien notre pauvre gars Téchiné. Il suffit de se retaper aujourd'hui Le Lieu du Crime, autrefois admiré par les critiques et le public, pour constater qu'il ne reste pratiquement rien du charme de l'époque. C'est un film de son temps, quoi, ce qui n'est pas déshonorant : au moins a-t-il su capter quelque chose de son époque. Qu'il n'en reste que des lambeaux aujourd'hui n'est après tout pas de sa faute. D'autant que tout est joliment fait là-dedans : les acteurs sont impeccables, la lumière d'été est parfaite, la musique de Sarde fait entendre ses joliesses académiques, la construction d'ensemble est fine et réfléchie, tout est bien. Mais c'est peut-être justement cet aspect "cinéma français de qualité", cette période Jack Lang-Toscan du Plantier, cette volonté de faire crédible à tout prix qui ont l'air dépassés : on regarde désormais le film comme une pièce de musée un peu rococo, un peu "meilleur ouvrier de France", sans plus ressentir aucune émotion face aux difficultés de la brave Catherine Deneuve. Téchiné, Assayas et Bonitzer (plus "film français", tu meurs) troussent une sombre histoire de gangsters échappés de prison, de femme solitaire, d'adolescent en rupture et de passion subite sous le soleil du Sud-Ouest, tirant la langue pour écrire de jolis dialogues signifiants et des situations dramatiques au petit poil.
Voici donc Deneuve s'éprenant sans autre forme de procès du jeune Wadeck Stanczak, alors que celui-ci vient d'assassiner son pote et de menacer son fils. Elle, la femme sans histoire, l'épouse divorcée d'un mari un peu binaire (Victor Lanoux), voilà qu'elle plonge dans l'extraordinaire, voilà qu'elle devient en quelques heures la femme libre qu'elle a toujours voulu être. Et voilà aussi que son gamin grandit et devient un homme, découvrant une mère qui peut avoir des sentiments. Bon. Les dialogues sont sur-signifiants, les situations aussi : chacun d'eux, chacune d'elles, se veut symbolique, édifiant, révélateur d'autre chose. Ça finit par fatiguer cossu, de voir ce cinéma aussi calibré, aussi avide d'être intelligent et compétent. On retient de tout ce grand théâtre classique Deneuve, comme toujours impériale et surprenante, qui tient par rapport à ce jeune acteur maladroit un rôle qui déstabilise plus souvent qu'à son tour ; Darrieux, géniale même quand elle épluche des patates ; quelques jolis mouvements de caméra sur le beau décor champêtre ; et la sobriété formelle de l'ensemble, impeccable et digne. A part ça, le défilé de gueules concernées (le pompon à Lanoux) énonçant des phrases subtiles dans un écrin bourgeois en diable ne déclenche que nos bâillements polis.