Des jeunes Femmes disparaissent (1972-2018) de Jean-Claude Brisseau

Trois versions d'un même court (du super 8 noir et blanc à la version couleur en 3 D en passant par la version couleur parlante) et en bonus les secrets de fabrication de Brisseau lui-même. Brisseau qui disserte sur ses influences hitchcockiennes totalement assumées, on prend forcément.  

Des jeunes Femmes disparaissent (1972)

La même histoire sera déclinée par trois fois alors autant commencer par-là : deux individus assassinent une femme et son enfant ; on les retrouve en train d'épier deux jeunes femmes ; l'une a quitté son mari sur une dispute et passe quelque temps au vert chez une bonne amie. Elle retourne voir son mari, se recasse et revient dans l'appart ; son amie a été trucidée, le sera-t-elle à son tour alors que son mari est parti à ses trousses ? Brisseau teste les méthodes de dramatisation et de suspense après avoir étudié son maître. On est dans le film amateur qui pille au passage, au niveau de la musique, autant Mike Oldfield que Bernard Herrmann mais qui produit son petit effet sordide : une pointe d'érotisme avec ces deux sombres individus qui matent leur proie dévêtue depuis un placard, une bonne louche de violence au moment des assassinats (petit effet des gros plans sur le couteau ou les ciseaux, utilisation maline du plan-séquence avant le passage de "découpage" humain ultra découpée, victime suspendue en l'air par son assaillant dont le battement des jambes en l'air traduit la panique...) et un petit côté cracra qui sied parfaitement au ton glauque de l'ensemble ; alors oui, l'image n'est pas parfaite, le montage un peu approximatif, la musique légèrement envahissante, mais cette première mouture à défaut d'être chic demeure relativement choc. Et puis ce personnage de mari (un hurluberlu qui cherchait à ressembler à Jésus-Christ - il fallait oser, et le pire, c'est que le type s'en approche plutôt bien...) vaut à lui seul son paquet de cacahuètes grillés à sec.

Des jeunes Femmes disparaissent (1976)

On passe au sonore, et à la couleur. Si Brisseau, lui-même, reconnaît avoir troussé des dialogues "parodiques" (à l'image des remakes italiens de Psychose), il est clair que cette version paraît dans l'ensemble un peu plus "édulcorée". Jésus-Christ est remplacé au passage par un petit bourgeois sous influence anthonyperkinsienne (son coup de fil enamouré à sa mère...) et les deux jeunes femmes, un peu nunuches, peinent à nous captiver. On retrouve tout de même, sur la fin, ce plan angoissant d'un meurtrier qui passe dans le dos de la deuxième jeune femme dans l'appart (une fois que la première a été trucidée) mais la violence et le côté sordide transparaissent un peu moins ; alors oui, c'est un peu plus soigné techniquement, mais au final on reçoit le choc de façon un peu trop adouci. L'ensemble manque de nerfs (des interprètes au montage) et on fait un peu la moue devant cette seconde mouture finalement moins surprenante.

Des jeunes Femmes disparaissent (2014)

Brisseau teste la 3 D et il sera bien difficile d'en juger franchement l'effet après avoir vu le film en vidéo... Dommage mais il n’avait qu'à nous inviter chez lui lors des projections... L'érotisme est beaucoup plus recherché ici avec ces deux femmes qui couchent ensemble et avec des draps qui prennent les teintes du cosmos, ouhlà – mais cela faisait partie des effets 3 D donc passons... Erotisme, amour cosmique, mais aussi romantique puisque ces deux femmes-là semblent bien décidées à se revoir le plus souvent possible - même s'il l'une des deux veut rejoindre son mari... Brisseau soigne ses ambiances (l'appart teinté de rouge, juste avant le second meurtre), ses effets-chocs (les deux cadavres momifiés et ensanglantés, ce cri strident au moment du second meurtre) et livre une ultime séquence très réussie au niveau de l'angoisse (avec cette femme qui se balade dans l'appart et cette bande sonore muette - on n'est pas dans les couloirs d'un vaisseau spatial avant le surgissement d'un Alien mais tout de même, la tension est palpable). Sexe, surréalisme, sang, un film en 3 D dédié au 3 S qui bénéficie d'une conclusion horrifico-grotesque de bonne guerre en hommage, une nouvelle fois, à Bouddha. Fallait oser recreuser le sillon tout en cherchant à se réinventer un poil.

Des jeunes Femmes disparaissent - Origine et Fabrication (2018)

Brisseau (et son chat, roi de la mise en scène) nous fait pour la galerie sa petite master class en revenant sur le tournage et sur ses motivations pour les trois films. Les problèmes de mise en scène, les problèmes techniques, les problèmes inattendus, Brisseau n'est pas avare en petites anecdotes ou en remarques techniques précises pour qu'on comprenne les difficultés de la réalisation de ces trois courts. Il revient aussi amplement sur l'influence majeure du maître du suspense, sur ses rencontres avec Pialat ou Rohmer et sur son style propre. C'est dit toujours avec une grande franchise au niveau des choses aussi bien réussies que ratées, sans recherche de la gloriole et avec une vraie sincérité sur le côté amateur (mais soigné et réfléchi) des deux premières moutures ; un réal qui s'ouvre sur son travail à travers les âges en s'appuyant trois fois sur la même matière scénaristique : forcément intrigant et bougrement enrichissant.