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2 mai 2020

Dialogue d'exilés (Diálogos de exiliados) de Raúl Ruiz - 1975

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C'est bien beau de faire la guerilla au Chili, mais quid des exilés politiques qui débarquent en France, souvent sans papier, sans connaissance de la langue et encore tout imprégnés de leur feu révolutionnaire ? Faute de mieux, Raúl Ruiz en fait un film, c'est toujours ça de pris. Empli d'un sentiment tout à fait louable d'entraide et de soutien de ses confrères, le bon maître trousse un petit film construit en vignettes édifiantes, toutes développant un problème que peuvent rencontrer les pauvres hères, ou narrant les convictions politiques inentamés de ces révoltés expatriés. Le bâton se retourne pourtant bien malheureusement sur lui, puisqu'il finit par dresser un portrait légèrement à charge de ces gens-là : accueillis avec solidarité et traités avec égard (et avec les moyens du bord, certes), leur indignation et leur culture différente les amènent bien souvent à pousser le bouchon un peu loin, et on voit plus souvent qu'à leur tour un tel entamer une grève de la faim absurde quand l'heure est à la discrétion, un tel détourner une somme d'argent destinée à une famille, un tel autre ne pas respecter les règles de la communauté ou être réfractaire à l'enseignement du français. C'est comme ça, c'est de l'humain, ma bonne dame, et si Ruiz ne cache rien des petitesses du statut d'exilé accueilli dans un pays ami, il déploie aussi tout son charisme pour montrer que ça peut fonctionner. Les Français sont de temps en temps eux aussi pointés du doigt, notamment dans leur certitude humaniste, leur condescendance et leur conviction d'être du bon côté de la barrière. Bref, un film assez équitable et juste, de la même justesse que le texte de Brecht auquel il pique son titre. C'est très empathique quand le cinéaste filme 10 personnes dormant à même le sol dans un appartement minuscule ou un malade demander Le Monde à peine débarqué dans un lit ou une petite vieille réclamer du vin rouge pour soigner sa dysenterie ; plus cruel quand il montre les limites de la conviction politique à 10000 kilomètres de chez soi ou l'inadaptation de certains à leur nouvelle identité ; carrément engagé quand il observe ces dialogues de comparaison entre les deux pays, ou la force éternelle de ces petits combattants pour la liberté ; mais c'est toujours bonhomme et toujours bienveillant.

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Dialogue d'exilés permet aussi de constater que, dès ses premiers films, Ruiz en a sous la pédale en terme de mise en scène. Encore éloigné de ses futurs délires surréalistes, le gars jongle avec brio avec les contingences de son dispositif : filmer des groupes d'hommes et de femmes discuter dans des appartements. Il s'en sort avec une mise en scène très dynamique, qui peut démarrer un dialogue dans un coin avant de l'interrompre en plein milieu par une porte qu'on ferme, un déplacement de caméra à deux mètres de là ou une voix plus forte qui vient parasiter le premier dialogue. L'impression de tourbillon est totale, les dialogues parfois austères deviennent passionnants, et la variété des situations et des caractères ajoute du pep's à tout ça. On s'attache à ces personnages, y compris aux plus négatifs (Gélin en bourgeois supérieur, un Algérien intrusif et libidineux, un révolutionnaire qui n'a pas compris que la guerre est finie, un musicien de droite enlevé puis "dressé"), et c'est toute la qualité du film de fabriquer un petit monde crédible, coloré et émouvant avec trois francs six sous. Un minuscule film, mais indigné, et qui transforme sa colère en essai enlevé, bien bien.

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