LIVRE : Jacques Higelin de Nicolas Comment - 2019

Nouvelle collection sur le rock français et étranger, premier volume consacré à Higelin, voilà qui promet. Notons d'abord que les livres sont de beaux objets, maquettés avec soin, contenant de bien jolies photos. Et justement, c'est au photographe Nicolas Comment que revient la tâche de nous narrer la vie intrépide, libre et belle de Jacques Higelin. Le bougre est l'auteur de bouquins de photos, et a accompagné le chanteur dans les dernières années de sa vie, lui tirant le portrait sur Amor Doloroso avant de devenir une sorte de confident, de "scribe" et d'aide pour l'écriture des textes. Autant dire que, même si leurs rapports sont devenus plus distants à la toute fin, Comment connaît bien le sieur, et a pu l'observer dans ces moments fragiles où un album s'écrit, s'enregistre, se conçoit. Témoignage précieux donc, de l'intérieur, d'un spectateur énamouré, et biographie subjective touchante, que ce Jacques Higelin illustré des photos de Comment ou d'autres auteurs.

Commençons par le commencement : le livre s'intéresse beaucoup aux débuts d'Higelin, toute la période d'errances, de communautés vaguement hippies, de cachetons comme comédien, de découverte de la musique, jusqu'à BBH75 prenant même une bonne moitié du bouquin. On y redécouvre les années de mobilisation en Algérie, les rencontres déterminantes (Henri Crolla, Areski, Brigitte Fontaine, Jacques Canetti), l'originalité de ce chanteur pris entre la grande tradition française des Brel-Brassens-Ferré et les yéyés qu'il méprisait. Lui a tenté de creuser une voie qui lui était propre, avec quelques autres déclassés. Et la route a été longue. Il a fallu ce fameux BBH75 pour que sa personnalité éclate, et qu'il trouve dans le paysage hexagonal une place jusqu'alors vacante : celle du rock, et même du punk, sur les traces de Lou Reed ou de Bowie. La rencontre avec Bowie et Iggy Pop, au passage, est savoureuse. Cette période de vaches maigres et de grands bonheurs, de pauvreté et d'expérimentations, est joliment documentée, on sent que Comment tient à cette période. Surtout, il décrit magnifiquement l'énergie d'Higelin dans ses concerts, racontant un ou deux spectacles mythiques qui ont définitivement imposé la légende. Il dissèque aussi les trois ou quatre albums de cette période (BBH75, Irradié, Alertez les Bébés, No Man's Land), et parvient à mettre des mots sur l'originalité de ces chansons et l'importance des collaborations (avec Mahut ou Bertignac notamment). Les photos sont parfaites, et on y découvre un Higelin pas si tout feu tout flamme que ça, cette partie est passionnante.

Ensuite, malheureusement, c'est moins bien. Le principe de la collection est de laisser l'auteur libre des périodes qu'il a envie de commenter dans la vie des artistes choisis, mais là c'est quand même un peu lapidaire. Toutes les années 80-90 passent en gros en un chapitre, alors qu'elles contiennent pourtant des phases intéressantes chez Higelin, dépressives ou glorieuses : pratiquement rien sur Champagne pour tout le monde, sur la difficulté d'accoucher de Aï, sur le succès énorme de Tombé du Ciel, sur les galères de Illicite et Paradis Païen, et rien du tout, pas une ligne sur Higelin 82... De cette période, Comment ne retire que les concerts de 4 heures et quelques bribes d'info très peu fouillées, et on se dit que si on veut avoir une biographie détaillée, il vaut mieux aller voir ailleurs. C'est dommageable, on aurait aimé avoir le regard de cet auteur sensible sur cette période certes plus commerciale, moins rock'n roll, mais tout aussi capitale pour Higelin. Le gars reprend le fil après la longue traversée du désert, à Amor Doloroso auquel il a assisté directement et à nouveau on retrouve l'auteur attachant, modeste et énamouré qu'il sait être. Là, on découvre un Higelin très intime, tourmenté et lumineux à la fois, dans son plus simple appareil, dans son travail, et c'est passionnant. Comment, et c'est normal, aime particulièrement cet album et ne se cache pas pour le dire, envoyant presque les albums de la fin de vie se faire foutre : Amor Doloroso, pour lui, est le vrai disque de la vieillesse. On tique parfois sur sa façon de s'approprier Higelin, de mettre en doute le film de Bonnaire ou les derniers disques, mais après tout il a bien le droit : c'est un livre de fan, et avoir côtoyé l'artiste sur ces quelques années justifie sa mauvaise foi. En tout cas, le livre est doucement émouvant si vous aimez le gars (l'enterrement par exemple est joliment raconté, avec sensibilité), écrit modestement mais avec style et panache. Un bel objet complètement partial.