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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
22 novembre 2020

Heureux comme Lazzaro (Lazzaro felice) (2018) de Alice Rohrwacher

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Prix du meilleur scénario à Cannes, le dernier film d'Alice Rohrwacher possède un charme certain dans sa première partie avant de virer (dans la seconde), dans la fable, le conte, un peu trop démonstratif. Soit donc au départ une communauté paysanne qui vit sous la coupe d’une comtesse : exploitée, non payée, interdite de mouvement, on se dit que c'était sympa, à cette époque, de pouvoir se faire de la thune sur le petit personnel. Un petit problème apparaît, tout de même, progressivement à notre esprit un rien naïf : cette époque, c'est bien la nôtre, ou disons celle d'un passé très proche. Suite à une inondation les routes ont été coupées et nos pauvres paysans un peu neuneu sont restés totalement isolés et dépendants de cette exploitante sans conscience. Le 16 mm (putain c'était quand même autre chose) donne une teinte toute nostalgique à cette œuvre qui, dans cette première heure, séduit par ces couleurs et cette vie paysanne surannées. Au centre du récit, il y a le fameux Lazzaro (dont le prénom prendra par la suite tout son sens), un benêt bien gentil qui est toujours là pour les basses besognes : comme il est dit par les "maîtres" caustiques et lucides, regarde-moi ces cons qui se laissent dominer et qui eux aussi se plaisent à exploiter ce pauvre Lazzaro. Bref, l'homme est un loup pour l'homme et il sera justement question de loups au cours du récit (animal symbole de danger mais aussi véritable "âme" des lieux). Lazzaro, tout concon qu'il soit, va se prendre d'amitié pour le petit maître maigrelet ; ce dernier, planifiant un kidnapping à la con, se réfugie dans la cachette de Lazzaro... Une drôle de relation se met en place entre ces deux "exclus", une relation qui durera au-delà de la mort de Lazzaro...

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Eh oui, car notre pauvre héros, suite à une petite maladresse, va mourir (il tombe dans un ravin alors que Dieu sait qu'il n'avait pas fait le malin)... pour se relever indemne quelques longues années plus tard ! Les paysans ont été "libérés" par des gendarmes et Lazzaro quitte à son tour les lieux pour retourner en ville... Il y croisera les siens (qui ont tous morflé au gré des années alors que lui est resté inchangé), des individus dans la dèche qui vivent de petits expédients malhonnêtes... La seule chose à la limite rassurante dans cette histoire, c'est que les gens qui les exploitaient sont également dans la misère, rendus exsangues par les banques ! "Enfoirées de banques" semble bien être la morale de l'histoire, bella ciao ciao ciao... ad lib.

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Lazzaro traîne donc sa défroque et son air paumé dans ce petit monde où chacun cherche à tirer profit des autres. Innocent, il garde les mains pleines d'empathie pour son prochain. C'est le seul que le temps ne touche pas, comme s'il restait, grâce à son refus de tirer profit des autres, totalement pur. Il balade son petit air bonhomme et désintéressé dans ces montagnes rugueuses comme dans cette ville grisâtre. Le film ne vire cependant jamais à l'ennui grâce à cette aura qui semble le suivre et qui illumine le film aussi bien dans son humanité que dans ses teintes (le 16 mm, bordel, ah oui déjà dit). La démonstration est un peu appuyée, certes, n'empêche que ce personnage innocent et plein de bonne volonté finit par marquer les esprits – lui seul, par ce regard si doux qu’il pose sur les autres, semble en un sens rendre cette vie supportable. Comme si ce monde de loups, de chiens, ne trouvait sa « balance » que dans l'existence de tels individus. Original dans son approche, un scénario qui flirte avec un certain merveilleux comme pour mieux nous faire prendre conscience, de façon toute réaliste, de la triste bassesse des hommes. Un prix honnête pour un personnage marquant.   (Shang - 18/09/18)


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Moi aussi sous le charme de cette jolie fable qui fait renouer le cinéma italien avec un certain sens du social et du merveilleux. Avec Heureux comme Lazzaro, on est à la jonction entre plusieurs cinémas nationaux : il y a du Olmi dans la première heure, dans cette façon de dépeindre sans fard et sans poujadisme un monde paysan rude et brutal, reproduisant sur les plus faibles de sa communauté les spoliations exercées sur lui-même ; il y a du Pasolini (celui de Uccellacci e uccellini) dans cette façon d'utiliser la naïveté du motif pour balancer quelques skuds politiques bien sentis, dans cet amour des petites gens ; il y a du Fellini (celui de La Strada) dans ce beau regard posé sur un simple d'esprit, dans la façon que le personnage a de contempler les horreurs du monde avec candeur et bonne volonté. Rohrwacher se tient à cet épicentre-là, touille le tout et donne ce film étrange, symbolique, dégagé de tout. C'est certes parfois un peu appuyé, mais c'est aussi assez touchant de voir ce petit personnage brinqueballé d'une communauté à une autre, d'un univers à un autre, passant peu à peu du statut d'idiot du village à celui de saint révélateur. Oui, le film est gentiment chrétien, ou en tout cas mystique dans son approche du personnage, soulignant l'adage qui dit que les simples d'esprit seront heureux, puisque le Ciel leur est ouvert. La mise en scène est impressionnante, en ce qu'elle arrive à méler des inspirations très "documentaire social" à la pure fable, à brouiller les pistes temporelles (on ne sait pas vraiment si on est dans le XIXème siècle rural ou dans le XXIème siècle urbain) : Rohrwacher y gagne en puissance politique, puisque le film n'est finalement que la description de la classe sociale la plus basse (celle des paysans du Moyen-Âge, puis des clodos d'aujourd'hui) vue par un regard enfantin, presque objectif (celui de Lazzaro). Que le film soit en plus joyeux (les personnages sont savoureux), grinçant (tout le monde en prend pour son grade) et joliment raconté (un scénario effectivement parfaitement écrit) n'enlève rien : voilà une metteur en scène originale, qui reste dans la tradition de son pays et parvient tout de même à offrir quelque chose de très personnel.   (Gols - 22/11/20)

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