Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
23 mai 2019

Le Client (Forushande) (2016) d'Asghar Farhadi

vlcsnap-error996

Il est dommage qu'on retrouve chez Farhadi à chaque fois les mêmes points forts... et les mêmes faiblesses qui finissent par prendre le pas sur le reste. Il est ici question, en fil rouge, d'une turpide histoire de vengeance : Emad et Rama sont ensemble à la ville comme sur scène ; forcés de déménager de leur immeuble qui menace de s'effondrer, ils trouvent refuge dans un appart qui vient tout juste d'être libéré. Seulement voilà, l'ancienne locataire semblait mener une vie plus que dissolue et un de ses "clients" va revenir dans son appart... et agresser Rama dans sa douche. Emad est furax, bien décidé à retrouver ce salopiot et à lui faire lourdement payer ses écarts et ses crimes. Bien.

vlcsnap-error319

Une fois de plus, Farhadi excelle à montrer ce couple "vieillissant" en crise où lorsque Rama dit blanc, Emad dit noir et vice versa. Ce dernier semble vouloir être à l'écoute de sa femme, après l'agression notamment, mais peine à vraiment faire le lien. La caméra du cinéaste iranien sait se faire incroyablement mobile (la visite du nouvel appart, un modèle de montage et de fluidité) comme pour mieux traduire les mouvements contraires de son couple qui ne cesse de se croiser mais peine dorénavant à se "rencontrer". On lit sur le visage de Shahab Hosseini et Taraneh Alidoosti les doutes, les tensions, la fatigue, l'exaspération... Rien à dire dans ce compartiment-là du jeu. On aurait tendance à faire un peu plus la moue au niveau des parallèles proposés entre la pièce et la réalité (la jeune femme sous la douche au début et le type dans le cercueil sur la fin : franchement, cette mise en abyme forcée ne s'imposait guère). La moue se fera même franchement dubitative lors de ce dernier tiers qui tire en longueur, lors de ce dénouement "moralisateur" qui met face à face Emad - et sa soif de revanche, cette envie de faire payer coûte que coûte - et Rama - et son sens absolu du pardon. Entre le type jusqu'au-boutiste qui a un sens de la justice personnelle un brin excessive et la tolérance angélique d'une femme qui a tôt fait de fermer les yeux sur les excès de son frère humain, on a aucun mal à faire le distinguo – mais c’est un peu grossier... On sera forcément tenté d'y voir une critique en creux de la société (ce "pauvre vieux" client plus soucieux de son image auprès des siens que de la gravité de ses actes, cette soif de revanche et de punition (par le biais d'Emad) qui vous entraîne dans un tourbillon tragique, cet immeuble qui se fissure à l'image de cette société sans repère (mouais...)…), des aspects pas inintéressants en soi mais amenés un peu avec le marteau et l'enclume ; c'est d'autant plus dommage que Farhadi a toujours autant de feeling pour filmer ces relations au sein d'un couple ou d'un groupe. Là, force est de constater qu'il a la main un peu lourde dans cette démonstration finale qui ne fait guère dans la nuance... Too much.   (Shang - 15/02/17)

vlcsnap-error149


Rhaaaaa bien sévère, le Shang, sur ce coup-là, et un peu injuste : il charge le film d'une explication simpliste alors que les choses sont plus complexes que ça, et la morale, selon moi, est plus subtile que ce que la lecture négative de mon compère veut bien dire. On est bien d'accord sur la symbolique : Farhadi, cette fois-ci, tire un peu lourdement sur la corde de l'allégorie, et ces parallèles entre pièce de théâtre et réalité, ces comparaisons entre la maison qui se fissure et la société qui part à vau-l'eau, sont ce que le film a de plus faible. Il manque clairement de légèreté au niveau de la façon de raconter, et plutôt que de charger la mule comme ça au niveau des images, il aurait peut-être gagné à ménager des portes de sortie plus simples, comme de l'humour par exemple (Farhadi n'est pas un marrant). Là, même quand la légèreté se fait sentir, il se sent tout de suite obligé d'envoyer du drame pour casser l'ambiance, comme dans cette jolie scène familiale où le couple mange des pâtes avec un môme avant de se rendre compte que le fric pour les acheter provient du pêché (...) Le compère a une grosse tendance à mélodramatiser à outrance, et n'y va pas avec le dos de la cuillère pour rendre son film signifiant et profond. Cette fois-ci pourtant, on n'aurait pas eu besoin de ce poids-là : le scénario raconte une histoire forte et simple, assez dramatique en elle-même pour qu'il ne soit pas besoin d'en faire trop.

maxresdefault

Ceci dit, pour plein de choses, je trouve le film passionnant. La fin est très belle, et je n'ai pas trouvé le film plus lourd à ce moment-là. Ce qui est dit est que rien n'est tout bon ou tout mauvais, que chacun a ses raisons, et qu'un personnage qui paraît sympathique au premier abord peut se transformer en monstre sadique. Dans un premier temps, en effet, Emad est un gars très positif : bon époux, solidaire avec ses voisins, compréhensif avec la locataire précédente, bon prof complice avec ses élèves, comédien de qualité. Le film nous range de son côté, d'autant que le drame qui arrive à sa femme (un viol qui ne dit strictement jamais son nom, c'est l'ambiguité de cette société iranienne) est une horreur. Sa femme ne veut pas ou ne peut pas porter plainte, il va falloir faire avec... sauf qu'Emad devient obsédé par le crime, et se transforme peu à peu en personnage négatif : une sortie de route avec un de ses élèves, une brouille avec son partenaire de théâtre, des rapports de voisinage qui se ternissent, sa vie change presque plus que celle de sa victime de femme. Quand il trouve enfin le responsable du viol, le film opère un beau glissement de point de vue : Emad en monstre froid (mais dont on comprend quand même les raisons), la femme en spectatrice atterrée (qui comprend peut-être qu'elle a été trop loin dans la névrose), le "client" en victime. C'est dans ce décor vide que se noue le drame, qui a réussi à renverser la tendance du spectateur avec une économie de moyens remarquable. L'acteur, Shahad Hosseini, est vraiment excellent pour exprimer la bonté, puis la colère aveugle teintée de culpabilité, mais c'est aussi le montage impressionnant de Hayedeh Safiyari (citons un monteur iranien, ça peut pas faire de mal) qui donne la densité à ces denières scènes tendues. Le rythme s'accélère, la caméra s'affole, le ton monte, et on se retrouve plongé dans cette histoire de morale, d'orgueil bafoué, d'impuissance et de sexe avec une grande virtuosité formelle. Qu'il porte en plus un regard très moderne sur le couple iranien est un petit plus indéniable : on est là dans le solide, très solide savoir-faire. Malgré un scénario lourdaud, oui, un excellent film.   (Gols - 23/05/19)

Le-client_02-580x326

Commentaires
S
Maquillage d'ailleurs, pas démaquillage.
Répondre
S
Il ne faut pas oublier que l'honneur est une question de vie ou de mort dans une société islamisée. Sa perte est le pire des châtiments puisqu'il ne se contente pas d'atteindre une seule personne mais souille toute une famille. Et puis la femme, non, ne croit pas "qu'elle a été trop loin dans la névrose" (un viol quand même... jamais avoué, mais clairement validé par l'argent). La femme se dit peut-être simplement que la main de Dieu a déjà saisi le cœur du coupable ; mais évidemment le nouveau visage de son mari l'effraie aussi un peu : au final, personne n'est jamais comme il croit être, et c'est bien le sens à mon avis du démaquillage ultime (superbe). Un peu en dessous d'Une séparation, mais très très bon quand même. Seul le parallèle avec la pièce me semble un peu superflue.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci à vous, vraiment, de m'avoir fait découvrir ce réalisateur. C'est mon quatrième et j'ai déjà hâte de voir le prochain.
Répondre
Derniers commentaires