Le Juge Fayard dit "Le Shériff" d'Yves Boisset - 1977
Ils ont beau tenter une reprise dans une nouvelle copie qui en occulte les couleurs pastels et la photo immonde, le cinéma de Boisset est aujourd'hui à peu près inregardable, si tant est qu'il le fut jadis. Le Juge Fayard n'est pas le pire, mais tout de même : voilà un film qui devait déjà être daté quand il est sorti, pris en flagrant délit de copie des grands cinéastes ricains engagés de l'époque (Lumet, Polack) et qui gâche tout son intérêt par son scénario beaucoup trop bavard. Boisset est indigné, comme d'habitude, et il fait bien : scandaleux de voir comment le juge Fayard, alors qu'il met à jour un réseau de corruption à grande échelle impliquant des gens hauts placés, se fait mettre des bâtons dans les roues par sa hiérarchie et des flingues sur la tempe par les mafieux du coin. A cela, un seul responsable : le SAC, syndicat prêt à tous les crimes pour parvenir à faire briller les patrons d'entreprise véreux et les politiques corrompus. C'est honteux, on est bien d'accord, et courageusement Boisset attaque façon kick-balayette, frontalement, sans prendre le moindre gant. On lui sait gré de porter sur les écrans la juste colère populaire, de mouiller sa chemise pour dénoncer le système ; à cela, rien à dire, c'est même tout à fait noble.
Le souci commence quand il décide de faire de sa révolte un objet cinématographique. Contraint d'aller au plus vite pour raconter son histoire en deux heures, il simplifie à outrance. On est tenté de penser que cette sombre histoire est peut-être plus complexe qu'un combat entre bons et méchants ; mais le manichéisme de Boisset, encore une fois, ferme le film par tous les bouts, et on est sommé d'être d'accord avec ce qu'on nous dit, n'ayant aucune marge pour réfléchir par nous-mêmes, menés par la main dans un récit sur-explicite qui traite l'ellipse ou l'ambiguité comme des crimes. On voit bien, pourtant, qu'il tente d'épaissir son personnage principal, le seul intéressant, le juge donc : la scène où il interroge un suspect mourant sur son lit d'hôpital, le brutalisant alors que le gars expire à moitié, est pas mal, et montre une volonté certaine de mettre un peu de nuance dans ce monde tout noir et tout blanc. Dewaere est d'ailleurs très bien, déplaisant et hautain avec sa secrétaire, lapidaire dans ses décisions, trop sanguin dans ses actes, peut-être un poil arriviste dans sa façon de mener son enquête. Mais face à lui, tous les autres personnages sont des caricatures grossières, du chef d'entreprise (Jean-Marc Thibault) à la fiancée bien entendu un peu sotte puisque c'est une fille (Aurore Clément, pour laquelle on a mal), sans parler de la pléthore de chefaillons, de ministres et de petits voyous traités comme dans une comédie de Mocky. Si on est contents de revoir toutes ces tronches oubliées des seconds rôles du cinéma français, on constate que cette faune grossière enlève toute crédibilité au film, et même tout danger. On n'a plus peur pour ce juge, on ne vibre plus aux injustices du monde, et on se contente de bailler et de s'extasier parfois devant la laideur de la photo et des costumes. Refermons le dossier Boisset pour l'instant, sans regret.