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23 septembre 2012

LIVRE : L'Auteur et Moi d'Eric Chevillard - 2012

9782707322524Sur 300 pages, le nouveau Chevillard en possède 100 de géniales, ce qui est déjà une chose rare ; mais pour Chevillard, ça n'est pas suffisant, et le fait est : la cuvée 2012 de l'idole est un peu bancale, pas complètement convaincante, et même parfois un peu chiante pour tout dire. Comme toujours, ça repose sur un concept aussi improbable qu'audacieux : afin de bien mettre une frontière entre lui-même et ses écrits, afin d'en ôter tout soupçon d'autobiographie, Chevillard se met à raconter une histoire complètement dérisoire (un homme monologue sur la suprématie de la truite aux amandes sur le gratin de choux-fleurs), saturant ce monologue de notes de bas de pages pour pointer à chaque détail les différences qui l'opposent à son personnage. Notes qui peu à peu dépassent le texte lui-même et finissent par inverser le rapport de force, "l'auteur" prenant plus de place que son personnage... sauf que, à l'intérieur des notes de l'auteur, se met à naître une autre histoire fictive, dans laquelle des éléments de la première histoire s'intègrent, etc... Une sorte de mise en abîme d'une mise en abîme d'une mise en abîme, quoi, qui en aboutit au fait que l'auteur et sa création sont indissociables, que Chevillard ne fait qu'un avec ses personnages, et que vouloir déméler l'un de l'autre serait inutile. Le gars transforme cette théorie littéraire en jonglerie incroyablement complexe, on le connaît, il ne peut pas s'en empêcher. Et une nouvelle fois, on ne peut que s'incliner avec admiration devant ces acrobaties insensées, ces formules fulgurantes, cette façon de raconter en nous surprenant sans arrêt, ces phrases qui commencent et finissent toujours où on les attend pas, cette science du rythme ébouriffante, bref : ce STYLE reconnaissable entre tous. Le jeu sur la langue est toujours aussi brillant, et en plus ce texte est étrangement touchant par endroits, quand l'auteur, s'exprimant enfin personnellement (il le fait dans L'Autofictif, mais jamais directement dans ses livres), avoue sans ambages son associabilité, sa peur du monde, ses angoisses d'écrivain, sa méfiance de l'actualité, voire quelques recettes d'auteurs qu'il dévoile comme des trucs de magie. En réalisant ce roman sur "l'auto-biographisme", il parvient enfin à nous parler directement, et entre les jeux de mots, l'absurdité et le non-sens, à nous laisser entrevoir sa souffrance, son angoisse éternelle.

Les 100 pages géniales, c'est ce récit dans le récit qui commence brutalement à mi-parcours, et qui décrit un homme qui se met en tête de suivre une fourmi. Là, en travaillant sur le minuscule, en se concentrant sur ce motif super simple, Chevillard est à son meilleur : hilarant, précis en diable, très émouvant (ses rapports avec la femme qui s'imisce là-dedans), allant jusqu'au bout du bout de cette trame idiote, il "tient la note" en esthète, renouvelant sans arrêt l'action, envoyant sans arrêt des surprises, des ruptures de rythme, des détails inattendus. Du vrai travail d'orfèvre, qui rappelle les grandes heures de Palafox ou Du Hérisson, et même si la conclusion de cette histoire est un poil décevante, on applaudit devant ce moment de bravoure impeccablement tenu.

Dommage qu'entourant ces pages géniales, il y ait ce monologue sur le chou-fleur et ces digressions sur l'auteur lui-même, certes amusants, mais qui se perdent trop dans la virtuosité. C'est le danger qui guette Chevillard à chaque fois : trop de pirouette nuit à la pirouette, et là on est dedans. Pour cette fois, le concept ne tient pas sur la longueur, et on est vite fatigué par cette écriture qui, de géniale, devient ampoulée, se mord la queue, tourne sur elle-même jusqu'à ne plus servir qu'à l'esbroufe. Je comprends bien que le projet tient beaucoup à cela, vider les mots de substance, mais le fait est qu'à lire, c'est un peu soûlant. On comprend le discours dès les premières pages, mais le roman nous le sert jusqu'à épuisement, et Chevillard n'étant pas tout de même Beckett, on tombe un peu dans l'inanité à force. Ca reste supérieurement bien écrit, entendons-nous bien, mais on aurait aimé être plus surpris, plus bousculé, moins dans la surface et plus dans la profondeur, disons. L'Auteur et Moi est un bel objet, mais un peu vide quand on sait ce que son auteur est capable de dire quand il est vraiment en grande forme.

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