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29 juin 2021

LIVRE : Défense de Prosper Brouillon d'Eric Chevillard - 2017

9782882504845,0-4319340Le brave Eric Chevillard a œuvré pendant quelques années dans les colonnes du supplément "Lire" du Monde, disant parfois du bien des livres (c'était chiant), parfois du mal (c'était brillant). Il tire aujourd'hui de cette expérience ce livre absolument imparable, un truc gratuitement méchant qui ne peut que faire la joie de tout adepte de littérature. Défense de Prosper Brouillon est l'éloge d'un auteur, en l'occurrence un auteur très populaire, un de ceux dont le seul nom suffit à renflouer les caisses des éditeurs dès que paraît un nouvel ouvrage, un de ceux qui publient 2 romans par an, un de ceux qui rassemblent. Lassé des critiques virulentes que reçoit le gars sous prétexte de son succès, le narrateur du livre entreprend donc sa défense, livrant un essai énamouré à grands coups de citations de son dernier livre. Une déclaration d'amour, donc, envers cet auteur décrié, que le narrateur entend bien réhabiliter, exemples à l'appui. Ça, c'est pour le premier degré.

Au deuxième, Chevillard, malin comme un singe, va chercher comme "citations de Prosper Brouillon" une compilation de phrases aberrantes, dont on apprend à la fin du livre qu'elles sont authentiques et tirées de livres ayant pignon sur rue, voire ont remporté des prix littéraires. Et là, franchement, on reste bouche bée : les nombreuses citations constituent une suite d'inanités, de bêtise crasse, de flou artistique, de clichés éculés, d'imprécisions flagrantes, de figures de style de mauvais goût, de mauvais rythmes, en gros ce qu'on peut écrire de pire. Le narrateur est pourtant très amoureux de cette écriture, et se livre à un panégyrique en bonne et due forme, vantant la beauté et l'audace de Prosper Brouillon. Ce qui donne un livre brillamment second degré, qui en surface est tout d'éloge et en profondeur un trésor de venin et de vachardises en tous genres. Un peu comme jadis dans le merveilleux L'Oeuvre posthume de Thomas Pilaster, qui fonctionnait un peu sur le même principe, Chevillard manie le non-dit, l'allusion, le double-sens en orfèvre. Son style est incroyable, arrivant à dire une chose et son contraire en même temps, parvenant à donner l'impression d'une éloge tout en induisant le coup de massue. Il pratique un assassinat en règle de la mauvaise littérature, des écrivaillons parvenus mais illisibles, des imposteurs de la langue qui constituent, il faut bien le dire, 99% des sorties d'aujourd'hui. Le livre devient alors, en plus d'un hilarant exercice de style, une déclaration de guerre, et une défense du droit à dire du mal, ce que sur ce blog on ne peut que saluer. Le livre ne devrait pas attirer que des amis au bon Eric Chevillard, et c'est tant mieux : véritable profession de foi du ras-le-bol qui s'empare parfois du lecteur devant les âneries qu'on lui donne à lire, Défense de Prosper Brouillon fait du bien par où il passe, et devrait fâcher les fâcheux. Gloire à Chevillard. (Gols 30/09/17)


C'est vrai que cette descente en règle de la mauvaise littérature (celle qui se vend le mieux) est relativement revigorant. Comme le souligne Gols, Chevillard a l'art de tourner un compliment pour le détourner dans la seconde et mieux broyer ces auteurs qui écrivent come ma grand-mère jouait du saxo (d'une main, aussi). Il parvient, avec ce quasi bout à bout de citations d'une vingtaine d'auteurs à tramer un fil conducteur et à nous conter l'histoire la plus sotte depuis le dernier Lelouch. Certaines tournures de phrases qu'il cite sans même avoir à les retoucher sont d'un ridicule sans nom, à l'image de certaines chansons françaises barbeliviennes, des phrases bénéficiant pour la plupart d'un style ampoulé comme si ces électriciens de la littérature cherchaient une place immédiate au côté de Claude François. Chevillard, on l'aime, car il est capable de nous scier une patte en une poignée de mots (Elle avait un sourire "crémeux" - puis tint sûrement dans son bec un fromage) et d'atteindre des summum de causticité en une vanne bien tournée (comme ce désespoir des lecteurs quand ils ont fini l'ouvrage de leur auteur préféré, lecteur qui se doivent d'attendre quelques jours avant la parution du prochain opus dudit auteur... Tiens, il n'y a pas eu de Musso ou de Levy ce mois-ci ? Les muses les auraient-elles soudainement quittés ?). Cela doit forcément faire un peu mal à la plume de voir tous ces ramassis d'auteurs couronnés de succès quand on doit trimer sang et eau pour faire une phrase qui a de l'allure et se retrouver comme invendu dans une librairie - librairie devant laquelle un chanteur de rue qui massacre au violoncelle électrique le dernier tube de Hoshi amasse en quelques heures plus d'argent que ledit dévoué libraire. Mais je m'écarte. Prosper ? Youp la boum, c'est le roi des bouquins qu'ont la chaude-pisse.  (Shang 29/06/21

Commentaires
L
Ça donne envie et je le mets tout de suite dans ma liste. Avez-vous lu les déso(pi)lants Jourde et Naulleau ? Et La littérature sans estomac de Pierre Jourde ? <br /> <br /> Et tout à fait d'accord à propos de Bojangles. Je me suis senti moins seul. (l'unanimité critique est redoutable)
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