Un Homme est passé (Bad Day at black Rock) (1954) de John Sturges
Je me suis pour ainsi dire régalé avec ce "petit film" de Sturges bénéficiant d'un casting de choix (Tracy, Ryan, Marvin, Brennan, Borgnine, Dean Jagger, Ann Francis...). Tracy, vieillissant, manchot, débarque au milieu du nulle part dans un village (une poignée de bâtisses) du grand Ouest ricain. Sa mission : retrouver un Jap censé s'occuper d'une ferme. Rien de bien méchant a priori, seulement l'accueil qui lui est réservé est on ne peut plus froid ; certes, les habitants du lieu n'ont po vraiment l'habitude de recevoir des visiteurs, vu que c'est la première fois en quatre ans que le Pacific Express daigne s'arrêter dans leur "gare". Mais Spencer n'est pas du genre à se démonter et parvient tant bien que mal à s'installer dans une chambre d'un hôtel désert qu'on lui annonçait complet... On se doute qu'il y a anguille sous roche dans cette atmosphère étrangement lynchienne avant la lettre. Robert Ryan fait figure de grand enculé - rôle qui lui va comme un gant -, ses deux "hommes de main" (Borgnine et Marvin) d'enculés énervants et violents, quant au shérif (le soupe au lait Jagger) et le croque-mort du coin (Brennan), ils se contentent de se tenir à carreaux... Spencer mène malgré la pression sa petite enquête et ne tarde pas à découvrir (à l'aide d'une preuve digne d'un Sherlock Holmes) que le Jap est mort. Quel bel enfoiré, dans ce village qui se serre méchamment les coudes, pourrait être à l'origine de sa disparition ?
Tracy, ultra débonnaire même s'il ne faut pas non plus le pousser dans ses derniers retranchements (Borgnine sera le premier à morfler sa mère), fait merveille dans ce rôle du "un contre tous". Ne se départissant presque jamais de son attitude flegmatique, il va progressivement tenter de se faire un ou deux alliés dans ce village qui camoufle un lourd secret ; plus il s'approche du mystère, plus il est lui-même pris dans une terrible tenaille, mettant sa propre vie en danger ; mais l'ancien engagé qu'il est en a vu d'autres. Unité de lieu, unité de temps, unité d'action, le drame qui se joue dans une atmosphère de plus en plus tendue est magnifiquement mis en scène (magnifique utilisation du scope dans les scènes de "groupe" : certains cadres se révélant digne d'un tableau d'Edward Hoper, d'autres jouant subtilement sur les formes géométriques plus classiques - subtile disposition triangulaire dans le photogramme ci-dessus avec l'enflure Ryan dont l'influence rayonne (oh oh !) sur les autres villageois) par un Sturges mitonnant son suspense. L'absence totale de chaleur humaine contraste avec la chaleur de ce village perdu au milieu du désert et d'imperceptibles petites gouttes de sueur perlent sur le front de tout bon spectateur forcément plein d'empathie pour ce Tracy têtu comme une mule. Le dénouement s'annonce torride, pour ne pas dire fumant, Sturges tenant les rênes de sa trame jusqu'au climax... Excellente découverte portée par des acteurs au caractère bien trempé. Vrai satisfecit, dirait mon éminent co-blogueur nouvellement jardinier.