Le Havre (2011) d'Aki Kaurismäki
Aki Kaurismäki se rend dans cette bien belle ville du Havre (son port, ses rades, ses marins, Venise est enfoncée grave) et livre un joli conte qui fleure bon les bons sentiments. Comme Claude Guéant et Henri Guaino, Aki aime les petites gens et les sans papiers ; son film se fait la chronique d'un bon vieux cireur de pompe (Wilms, la voix plus blanche, tu déteins - il est Marcel, vingt ans après La Vie de Bohème) qui va venir en aide à un gamin noir qui s'est échappé d'un container. Il se fait un devoir de le prendre sous son aile et de le cacher malgré les très méchants délateurs (Jean-Pierre Léaud, ultime) et alors qu'un curieux flic (Darroussin, magnifiquement dans le ton) veille - ami ou ennemi ? Hum, hum... Dans le monde selon Kaurismaki, les petits commerçants prennent la défense de la veuve et de l'orphelin (c'est beau), les flics savent qu'on les aime pas et c'est trop dommage pasque parfois ils ont aussi un petit cœur et les bonnes actions peuvent aussi finir par payer (Si...). Cela peut paraître un peu caricatural, dit comme cela, mais la philosophie du gars Mika ne cherche pas non plus à aller ici beaucoup plus haut...
C'est bien attendrissant tout ça tout ça, mais sinon ? Sinon, on retrouve avec bonheur quelques bonnes petites répliques d'humour à froid (Wilms, voulant se faire passer pour le frère d'un black, qui raconte qu'il est l'albinos de la famille... fatal), une mise en scène d'une immense sobriété (des cadres fixes, des personnages eux-même souvent figés, une diction quasi-rohmérienne... à tel point qu'on aurait presque l'impression d'être dans une sorte de "BD cinématographique") et des acteurs tout en "faciès" (Pour le meilleur - Darroussin, impeccable disais-je - mais aussi parfois pour le pire : certains "extra" (ce petit épicier ou certains piliers de comptoirs) - jouent aussi faux que moi du tuba). La moyenne d'âge du casting doit flirter autour des 78 ans (ah non, il y a le chtit black, cela fait baisser la moyenne, disons 76... Darroussin qui flirte avec la soixantaine fait tranquillou figure de jeune premier...) et c'est vrai qu'on sent un certain plaisir, pour ne pas dire une sorte de complaisance, chez Kaurismaki à donner à son film un petit côté terriblement vieillot et désuet (de la musique au décor). C'est certes dans les vieux pots que l'on fait les meilleurs soupes - et que l'on trouve les meilleurs sentiments ? - mais c'est aussi ce qui donne parfois à cette œuvre kaurismakienne un petit côté gnan-gnan et guimauve. Aidons-nous les uns les autres dans cette société qui a sûrement perdu le sens de ses valeurs - méchants CRS prêts à tirer sur un môme et violents flics qui cassent tout chez vous lors d'une perquisition : c'est mal (difficile de ne pas être d'accord) - et restons optimiste, même quand on survit avec les moyens du bord (Wilms qui se nourrit au quotidien d'une baguette, d'un chtit bout de fromage et de verres de vin blanc) : c'est bien mignon, mais on préfère autant quand l'Aki est un peu plus acide ou caustique sur ses frères humains...