Pépé le Moko de Julien Duvivier - 1937
On fait dans le Grand Cinéma Français Labellisé avec mon camarade aujourd’hui, mais il semble qu’il ait eu plus de chance avec La Beauté du Diable que moi avec Pépé le Moko. J’avais un bon souvenir de cette chose, pourtant ; eh ben non, c’est vraiment mauvais, l’archétype du cinéma fabriqué, insincère et artificiel de ces années-là. Le visage de Gabin en gros plan sur lumière rasante qui cabotine en balançant des répliques de Jeanson, vous avouerez que c’est pas tout à fait la définition de la félicité suprême : eh bien c’est ça durant 90 minutes interminables, pendant lesquelles Duvivier lâche la bride à tout le monde, acteurs, techniciens, auteur, pour nous livrer un divertissement fade et dépassé. La pléthore de « gueules » célèbres dans les seconds rôles n’arrange rien : au mieux, c’est Fréhel, seule apparition marante (elle est visiblement complètement bourrée quand elle entonne une de ses chansons réalistes terribles (« Où sont Panâaââââme et ses poulbooots, partis dans la rûûe d’Ménilmûûûûche », genre)) ; au pire, ce sont les habituels Charpin, Dalio ou Saturnin Fabre, rompus à ce genre d’exercice, et qui balancent les répliques mécaniquement, trop pleins de leur savoir-faire pour tenter la moindre chose.
Quant à Gabin, eh bien c’est bête à dire, mais il est ici très mauvais, et je dis ça alors que j’aime souvent bien le gars dans cette période : caricaturant l’accent parigo à outrance, servant un personnage antipathique, mal à l’aise dans ses moments de gaieté (l’affreuse chanson qu’on lui fait beugler) aussi bien que dans le glamour, il saccage carrément son personnage, qui de toute façon n’était pas très intéressant. Pépé est un voyou à l’ancienne, qui s’est réfugié dans la casbah d’Alger pour échapper aux flics, et qui tombe les filles comme des mouches en imposant sa loi ; bien sûr, comme c’est Gabin qui joue, il a finalement un grand cœur, est fidèle en amitié et malin comme un singe (sauf quand il a bu ou quand il est réellement amoureux), voilà, on a fait le tour du personnage. Plus réussies sont ses relations avec l’inspecteur du coin, en ce qu’elles montrent de collusion entre la police et la pègre, et dans le duel un peu subtil qui s’établit entre les deux camps, qui se respectent et se jaugent dans le calme. Plus intéressante également, sa partenaire féminine : je ne parle pas de la bourgeoise de laquelle il s’éprend, jouée par une Mireille Balin au visage étrangement inexpressif et figé, mais de la copine algérienne, interprétée par Line Noro (17cm de fond de teint pour nous faire croire à son côté autochtone), dont le jeu ambigu et l’expression photogénique apportent un peu d’épaisseur à cette galerie de personnage monolithiques (le voyou crétin, le papy roublard, les indics veules, etc.)
Et puis, disons-le, Duvivier est un très piètre metteur en scène, et si on peut s’en foutre dans ses films les plus réussis, ça saute aux yeux dans ses ratages complets, et donc ici : monté au petit bonheur, Pépé le Moko semble considérer le gros plan romantique de studio comme unique possibilité technique. Ces gros plans superficiels font 90% du film, le reste étant constitué au mieux de travellings très maladroits (la fuite de Gabin dans les rues du souk, qui brouille complètement l’espace par sa succession de faux raccords), au pire de plans absolument bâclés (toutes les scènes de discussions de groupe). Quelques tentatives, certes, semblent émerger, notamment dans la belle scène tendue de l’assassinat de l’indic (ombres inquiétantes, lenteur du jeu) ou dans le final (toutefois pas aussi ravageur qu’il aurait pu l’être), mais l’ensemble apparaît complètement relâché et le metteur en scène semble être une option qui n’a pas été gardée par les producteurs. Bref, c’est du savoir-faire routinier qui ne se donne plus la peine de rien, du cinéma de roublard parvenu, et c’est inregardable aujourd’hui. Sans intérêt.