Paranoïaque (Paranoiac) (1963) de Freddie Francis

Une production Hammer qui n'a pas pris une ride, bénéficiant d'un noir et blanc magnifiquement contrasté, d'acteurs tous plus inquiétant les autres et d'une mise en scène du père Freddie Francis qui sait calibrer ses effets. Dans la famille Ashby, je demande les parents, ah ben non, ils sont justement morts depuis onze ans dans un crash d'avion. Je demande donc le frère Tony, pas de bol celui-ci s'est suicidé - inconsolable - trois ans plus tard. Je demande donc la tante, ah, quand même, celle-ci est bien vivante et s'est occupée des deux autres enfants restants. Son regard torve ne la rend po vraiment sympathique dès le premier plan, mais n'allons point trop vite en besogne. Je demande donc la soeur Eleanor (Janette Scott), apparemment terriblement fébrile, au regard triste comme le fond d'un puits, qui semble ne jamais s'être vraiment remise de la mort de Tony. Une infirmière française, Françoise (Liliane Brousse !), roulée comme un carrosse, l'assiste dans cette longue convalescence. Je demande, enfin, le frère Simon (Oliver Reed, fougueux et irascible) qui endosse le rôle du sale gamin alcoolo, violent et grand viveur. Dans trois semaines, il pourra enfin toucher le pactole laissé par ses parents, une somme d'argent qu'il semble capable de pouvoir dilapider en un tour de main. Accessoirement, il se tape Françoise, mais plus pour la gloriole que par amour. Belle famille. Bon, je pioche, ah ben tiens, Tony qui ressuscite sous nos yeux ébahis, un nouvel élément qui va sans doute venir perturber cette famille déjà bien atteinte...

La demeure familiale se trouve non loin d'un ravin, et aucun doute que les Ashby semblent tous plus ou moins au bord du gouffre... Si Eleanor semble au départ la véritable parano du titre, on se rend compte rapidement qu'elle pourrait se révéler la plus saine de cette inquiétante équipe. Ce Tony, sorti de nulle part, pourrait, lui, bien être un imposteur, et c'est là tout le trouble de cette oeuvre où derrière ces eaux sombres (les plans de transition sur le jardin de la propriété) pourraient bien se dissimuler de très lourd secrets... Une musique constamment inquiétante avec des airs d'orgue envoûtant, un Freddie qui sait varier ses angles à l'envi (une nurse filmée en contre-plongée pour la rendre plus imposante qu'elle n'a l'air au premier abord avec son joli minois, ce mystérieux individu filmé en plongée et qui disparait au premier champ/contre-champ qui décide finalement de "s'introduire" en chair et en os dans la casa - Tony le vrai ou un faux ?...), des scènes d'action joliment montées pour produire leurs petits effets (l'accident de bagnole au bord du ravin, cet affreux personnage qui se cache derrière ce masque boursouflé...), rien de mieux pour qu'on se demande tout du long lequel va parvenir à tirer son épingle du jeu dans cette maison de fous.

Il est question de thune - qui va mettre le grappin sur cet héritage ? - mais surtout de liens affectifs terriblement troubles : les relations ambiguës entre la tante et Simon, son petit protégé, celles entre Eleanor et ce nouveau Tony tout propre tout beau (magnifique scène pleine de complicité lorsque les deux se retrouvent derrière cette vitre poussièreuse à observer Simon... comme une réminiscence d'une scène de leur enfance, même si... oups)  qui semblent pouvoir tourner si facilement à l'inceste (hum, hum...), celles entre Simon et Tony dont on se demandera jusqu'au bout s'il s'agit de haine, de jalousie ou d'amour fraternel... et à force de se méfier tour à tour de tout le monde, c'est le spectateur qui finirait presque par devenir parano. Un final obligé sous des gerbes de flammes pour illustrer le fait que ces relations ardentes et explosives (les non-dits et les secrets familiaux enfouis faisant souvent des ravages) ne peuvent que finir en carnage... La "Hammer" frappe fort et on s'en réjouit.