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10 septembre 2009

L'Héritière (The Heiress) (1949) de William Wyler

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Décidément beaucoup de classe chez Wyler qui signe un film, formellement, d'une grande élégance (l'esprit étouffant voire claustrophobe des lieux est remarquablement rendu) et, sur le fond, d'une cruauté grinçante remarquable (des dialogues terriblement acerbes, le film étant adapté d'une pièce de théâtre elle même inspirée de Washington Square d'Henry James). Les acteurs sont au taquet, Olivia de Haviland en pauvre jeune fille plus quiche qu'une Lorraine, son père Ralph Richardson droit comme un "i" et d'une sincérité terrible par rapport à cette fille qu'il conchie, et enfin Montgomery Clift plus beau qu'un Apollon mais aux intentions terriblement opaques. C'est un vrai régal tant les discussions se font frontales (le père est ignoble dès qu'il est question de sa fille qu'il traite comme une moins que rien); quant à la morale finale, elle est de toute "beauté", tant la cruauté semble une valeur humaine beaucoup plus facile à transmettre que l'amour. La haine en héritage. Terriblement noir et jubilatoire...

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La pauvre Catherine (Olivia de Haviland) ne semble en effet pas avoir grand-chose pour elle : un teint tout gris, un regard plus triste qu'un soupirail, une coiffure plus ridicule que celle de la princesse Leia, une aptitude à la danse équivalente à la mienne et, cerise sur le gâteau, un sens de la discussion moins développé que Patrick Modiano. Bref, c'est un vrai boulet et faut reconnaître que son père la traite comme tel : ce dernier, depuis la mort de sa propre femme que l'on devine divine dans tous les domaines (de la blondeur sublime de ses cheveux à son sens musical exceptionnel), semble prendre un malin plaisir à voir en sa fille le négatif de la femme qu'il a perdue... Cela n'arrange forcément en rien la confiance que peut avoir cette pauvre Catherine en elle-même, même si son père ne lui fait point, jusque là, de réflexions trop directes. La tante de Catherine, heureusement, veuve et plus bavarde qu'une pie, veut encore y croire et encourage la chtite à se montrer un peu plus ouverte. Elle semble bien la seule à vraiment y croire... Et pourtant, lors d'un bal, le miracle attendu depuis des lustres arrive enfin, un bien beau jeune homme (le Clift) aborde Catherine, la fait danser et fait tout pour l'emballer. L'homme continuera sa cour dans la semaine qui suit. Pour le père, aucun doute, ce type sans fortune, ne lorgne que sur l'héritage somptueux promis à sa fille unique. Il faudrait être le dernier couillon pour ne pas s'en rendre compte! Mais quoique me direz-vous, parfois l'amour...   

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Les séquences mettant en scène le père sont presque jouissives de méchanceté : sa volonté de prouver à tout le monde que le Clift n'est qu'un pauvre opportuniste de bas-étage et qu'il ne peut en être autrement, tant sa fille a moins de relief qu'un oeuf sur le plat, tourne à l'acharnement. Lorsqu'il invite la soeur de Clift pour une petite discussion, il fait venir sa fille cinq minutes dans la salle pour bien montrer à la soeur que personne, franchement, ne pourrait s'intéresser à une telle bougie si ce n'est pour son argent. Les échanges avec Clift, qui n'a pas perdu de temps pour demander la main de la fille, font rapidement monter la tension. Le père accable sa fille pour prendre en défaut les intentions du Clift qui ne peut que rétorquer, très subtilement, "en fait, ce que vous me reprochez, c'est d'être pauvre" - et le père d'acquiescer comme si tout était dit. Devant l'insistance de Catherine pour s'unir à ce jeune homme tombé du ciel, le père décide de sortir l'artillerie lourde et de lui dire enfin ses quatre vérités : "tu n'as pas d'esprit, t'es moche comme un rouet, t'es aussi ennuyeuse qu'un meeting de Bayrou, bref t'es nulle des pieds à la tête. Ah si pardon, il n'y a qu'une chose que tu sais faire, c'est la broderie". C'est affreux, j'en ris encore. La guerre est déclarée. Après diverses aventures, Catherine demandera au Clift de venir la kidnapper pour se marier dans la foulée, quitte à se faire déshériter... On n'a jamais vu une femme se faire poser un tel lapin depuis Emma Bovary. Catherine touche le fond... Les années passeront, son père mourra et la Catherine d'affronter son destin avec, semble-t-il, dorénavant, les mêmes armes, les mêmes valeurs (la suspicion, la défiance, la froideur, la cruauté...) que lui a léguées son père...

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Si l'histoire tient en haleine jusqu'au bout (remarquable composition du Clift qui ne dévoile jamais complètement le fond de sa pensée... Et si derrière ce petit sourire enjôleur et ses petits airs de propriétaire quand il entre dans cette maison bourgeoise, il était malgré tout honnête, hein ?), Wyler filme en virtuose ce huis-clos étouffant : quand Catherine se décide d'ailleurs à ouvrir tout d'un coup la fenêtre pour aller rejoindre sous une pluie battante son "amoureux", on ne peut s'empêcher de prendre une bouffée d'air avec elle. Les personnages semblent constamment serrés, pris au piège des cadres qui les enferment comme ils le sont dans leurs préjugés (les terribles convictions du père, au niveau social (le pauvre ne peut être qu'un profiteur), le romantisme exacerbé de notre pauvre Catherine : un baiser et c'est plié)... On pourrait évoquer (comme le fait très bien Christian Viviani dans la présentation du film sur le DVD vue dans la foulée) la fantastique musique d'Aaron Copland, le soin apporté aux profondeurs de champ, les motifs verticaux... Je retiendrai pour ma part certains plans qui sont terribles, qui impriment littéralement la pupille, comme ceux sur les deux montées d'escaliers de Catherine, mis en parallèle : quand la déception est à son comble puis quand sa vengeance perfide atteindra son paroxysme... Une adaptation vraiment magnifiquement mise en boîte. 

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