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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
8 février 2009

Marseille de Angela Schanelec - 2003

18379421_w434_h_q80Mes remerciements tout d'abord à notre fidèle lecteur(trice?) "Patience" qui nous a conseillé ce film inconnu de nos services. On est toujours preneurs de conseils, je pense que Shang ne me contredira pas.

Bon. Ceci dit, je suis un peu embêté, parce que Marseille est loin de m'avoir emballé. Certes, au milieu de la fameuse "nouvelle vague allemande" un peu douteuse, ce film ressort clairement, par sa rigueur, son énorme travail sur les rythmes et les cadres. Schanelec ne lâche rien, et choisit l'âpre voie de la mise en scène mathématique avec une belle tenue. Le film est hyper-tenu de bout en bout, sans concession aucune au spectacle, tenant son cahier des charges originel avec une droiture impeccable. On ne peut que s'incliner devant ce choix risqué dont la réalisatrice ne s'éloigne jamais.

Mais c'est la limite de Marseille : si austérité il y a, elle n'est pas vrai18379422_w434_h_q80ment justifiée, et apparaît plus comme une volonté de s'inscrire dans un certain cinéma d'auteur contemporain qu comme une réelle appréhension du sujet. On dirait que cette forme rigoureuse n'est guidée par aucune raison, qu'elle n'est qu'un tic. Schanelc se réclame clairement d'une certaine influence tout à fait noble : Haneke, surtout, et Tchekhov, Bergman ou Strindberg. Elle en adopte donc toutes les postures, bien proprement, allongeant au-delà de la limite des plans-séquences arides comme tout, mettant en place un dispositif bluffant d'exigence ; mais elle oublie aussi que la forme des films d'Haneke est justifiée par un fond, qu'elle fait sens, qu'elle n'est pas qu'un dispositif impressionnant. Ici, à force d'application dans la rigueur, le film devient chiant, purement formel, et perd son sujet, se transforme en puzzle vain, d'autant que ce qui nous est raconté n'est vraiment pas passionnant : les errances d'une photographe entre Marseille et Berlin, en crise d'identité sûrement, en crise amoureuse également. "Histoire" que Schanelec met son point d'honneur à brouiller, ôtant à son film tout évènement pour se concentrer sur les 18405479_w434_h_q80moments de rien, multipliant les ellipses (certes habiles) pour mieux nous convaincre de son talent pour le non-dit. On est perdu, et du coup moyennement convaincu par les scènes sur-signifiantes qui apparaissent au milieu de ce vide existentiel : une longue séquence de répétition théâtrale qui en dit trop, ou un dialogue entre copines mal copié de Bergman (les scènes en Allemagne sont d'ailleurs pratiquement toutes ratées). C'est bien de cultiver l'opacité, mais à condition que l'on sente que celle-ci cache une profondeur : ce n'est pas le cas ici, les personnages s'avérant au final assez creux et banals.

Reste que la mise en scène est brillante : Schanelec sait parfaitement gérer les changements de plans subits, notamment lors de la plus belle coupe du film dans un bistrot. Un couple discute, très long plan fixe (dans les 5 minutes) sur eux ; puis un copain entre, sort une remarque acide, et subitement, l'angle change, presque 18379424_w434_h_q80violemment, rendu d'autant plus impressionnant qu'il arrive après cet interminable cadre. De même, lors de cette répétition théâtrale, où Schanelec utilise merveilleusement les changements d'angles sans couper, se servant de cette scène jouée plusieurs fois pour varier les regards, pour aller filmer d'autres détails, d'autres sentiments. Tout le film est ainsi, hyper-construit, implacable. Dommage que la réalisatrice n'ait rien trouvé à raconter une fois son dispositif mis en place.

Commentaires
G
Pas de remerciements, Patience, on est toujours à l'affut de conseils, c'est un plaisir de découvrir des choses qu'on ne connait pas.<br /> Votre commentaire est brillant, mais je crois que Marseille fait partie de ces films qui touchent intimement ou laissent complètement froid. Visiblement il a touché en vous quelque chose d'intime, c'est parfait. A moi il ne me parle pas. <br /> Je n'ai rien contre le fait qu'on filme le vide, et je suis même preneur de certains cinéastes qui s'y essayent (Weerasetakul, tant detesté par mon collègue, ou Kawase, Rosales, Ceylan, Antonioni). Ce que je reproche à Schanelec, c'est de cacher son manque de fond sous un dispositif brillantissime et très rigoureux. La mise en scène est impressionnante, mais elle n'est qu'une surface, pas nécessitée par ce qui est raconté. La beauté du geste ne me suffit pas, même si je déteste également qu'on tente de m'asséner une thèse (défaut parfois d'Haneke, j'en conviens). Ce film est à cheval sur un cinéma de laboratoire (genre que j'aime beaucoup, en ce qu'il tente presque sans enjeu des choses formelles) et un cinéma psychologique à la Bergman, mais sans arriver à trouver un style très net. <br /> Encore une fois, je reconnais que Schanelec est sûrement une grande cinéaste, et je suis bluffé par son intransigence et la part de mystère de son film. Mais je ne suis pas touché, ni par le sujet, ni par les personnages, ni par cet "art pour l'art" pour moi assez loin de Godard.<br /> Si vous avez d'autres cinéastes à nous conseiller, ne vous génez pas : vous avez visiblement une belle exigence de spectateur, ça me plait.
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P
Tout d'abord je suis très honoré que vous ayez été curieux d'une de mes modestes recommandations! Merci pour votre curiosité et votre site décidément et toujours passionnant (et bon "anniversaire" en passant). On sent que vous aimez vraiment les films...<br /> Je me fais du coup une grosse joie de commenter votre billet !<br /> <br /> Alors, voilà ; et je remarque que vous parlez du travail de cinéaste de Shanelec, en premier lieu, comme tenu, en terme de mise en scène, de cadre, etc., et puis vous semblez être gêné par le fait qu'elle ne raconte "rien". Mais pour moi ce film, et c'est pour cela qu'il est fort et même bouleversant, et l'affirmation éclatante que c'est le sujet qui n'est "rien", et le film choisit cette voie avec un courage et une détermination exemplaire. Et — à mon avis — , ce n'est pas pour cela qu'il ne raconte rien, bien au contraire: par exemple, je ressens exactement ici et là dans son film (et comme rarement, dans peu de films), cette espèce de vide de certains moments de la vie, un voyage en train, un état d'égarement, la joie d'une rencontre, la peur de l'inconnu, l'incompréhension et les désaccords avec une personne de l'entourage, etc etc etc... Ces états sont extraordinairement rendus, de l'intérieur, sans aucun besoin de signifier..<br /> <br /> Pour moi c'est le "génie" de cette cinéaste, qui j'en suis sûr est capable du meilleur, d'encore meilleur, car elle est véritablement cinéaste, il ne s'agit pas de talent, de capacités, de choses qu'on peut additionner les unes aux autres à mettre au crédit de son travail, c'est ontologique !, elle est cinéaste dans ses mains et ses yeux.. et je trouve ici que cela saute, aux yeux (j'ai du reste ressenti également cela récemment pour Dans la ville de Sylvia). Moi c'est ça qui me touche. Je regarde ce film de temps à autre, car j'aime ressentir cela, ça perle littéralement de l'écran, c'est très physique, contrairement à ce qu'on pourrait penser, car on pourrait facilement trouver le film "cérébral" (mais je pense que c'est un leurre!). <br /> Et à mon sens c'est justement ce qui fait qu'elle n'a rien à "justifier", car elle est dedans le cinéma, et cela est (ou nie) toute justification en soi. Même si il peuvent être passionnants, dans leurs expérimentations diverses, les films d'Haneke me "fourguent" toujours plus ou moins un sujet (j'exagère à dessein!), un "fond", qui pour moi en comparaison oblitère nécessairement un tant soi peu la beauté du geste. (Bon, je sais pas si je suis clair dans mes propos mais j'espère !). Oui je crois vraiment qu'elle ne cherche pas à convaincre, à prouver quoi que ce soit par des postures, bien au contraire elle exerce très précisément son métier de cinéaste (elle me montre des choses et elle fait passer des "états"), ce qui la dispense d'avoir aucune raison ou justification...<br /> <br /> Ces ellipses, ou surtout ces longs plans, qui peuvent être je vous l'accorde un pose dans tant de films d'aujourd'hui (qui sont devenus une forme d'académisme même), ici, non, il s'agit je crois pour elle de parler dans un certain rythme, de provoquer des sensations, des courts-circuits, de sauter d'un état à un autre, on se perd et on s'y retrouve, c'est une danse presque, oui, elle parle en rythme, comme dirait Godard l'art du cinéma, faire de la musique avec de la peinture!.. Il y a pour moi justement quelque chose de la force de certains éclats godardiens dans des moments du fim, dans ce qu'ils peuvent avoir d'inédit, des moments qui ne sont que du cinéma. <br /> Je trouve la scène que vous citez très justement, comme quoi cela traverse bien effectivement l'écran, la scène de dialogue dans le café, comme complètement étonnante, passionnante, ce n'est "qu'une" conversation de café, et pourtant, que se passe-t-il, je ne sais pas, c'est unique et inimitable, quelque chose se passe, une sensation de direct, quelque chose qui se déroule sous nos yeux, de totalement singulier, vivant et pourtant artificiel, indécidable, pour moi bouleversant, un rêve de cinéaste, c'est beau à pleurer, et (attention !!) cela vaut pour moi (100 fois) tous les james gray du monde !!! Cela dépasse de loin n'importe quelle chose qu'elle devrait avoir à raconter (elle raconte plein de choses, d'ailleurs, par ailleurs), il n'y a à aucun moment de dispositif "plaqué", simplement un capteur de vibration, une sismographie, une écriture dans l'air ;<br /> <br /> (pardonnez mon lyrisme, c'est le nuit et c'est dimanche)<br /> votre lecteur Patience.
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