Marseille de Angela Schanelec - 2003
Mes remerciements tout d'abord à notre fidèle lecteur(trice?) "Patience" qui nous a conseillé ce film inconnu de nos services. On est toujours preneurs de conseils, je pense que Shang ne me contredira pas.
Bon. Ceci dit, je suis un peu embêté, parce que Marseille est loin de m'avoir emballé. Certes, au milieu de la fameuse "nouvelle vague allemande" un peu douteuse, ce film ressort clairement, par sa rigueur, son énorme travail sur les rythmes et les cadres. Schanelec ne lâche rien, et choisit l'âpre voie de la mise en scène mathématique avec une belle tenue. Le film est hyper-tenu de bout en bout, sans concession aucune au spectacle, tenant son cahier des charges originel avec une droiture impeccable. On ne peut que s'incliner devant ce choix risqué dont la réalisatrice ne s'éloigne jamais.
Mais c'est la limite de Marseille : si austérité il y a, elle n'est pas vraiment justifiée, et apparaît plus comme une volonté de s'inscrire dans un certain cinéma d'auteur contemporain qu comme une réelle appréhension du sujet. On dirait que cette forme rigoureuse n'est guidée par aucune raison, qu'elle n'est qu'un tic. Schanelc se réclame clairement d'une certaine influence tout à fait noble : Haneke, surtout, et Tchekhov, Bergman ou Strindberg. Elle en adopte donc toutes les postures, bien proprement, allongeant au-delà de la limite des plans-séquences arides comme tout, mettant en place un dispositif bluffant d'exigence ; mais elle oublie aussi que la forme des films d'Haneke est justifiée par un fond, qu'elle fait sens, qu'elle n'est pas qu'un dispositif impressionnant. Ici, à force d'application dans la rigueur, le film devient chiant, purement formel, et perd son sujet, se transforme en puzzle vain, d'autant que ce qui nous est raconté n'est vraiment pas passionnant : les errances d'une photographe entre Marseille et Berlin, en crise d'identité sûrement, en crise amoureuse également. "Histoire" que Schanelec met son point d'honneur à brouiller, ôtant à son film tout évènement pour se concentrer sur les moments de rien, multipliant les ellipses (certes habiles) pour mieux nous convaincre de son talent pour le non-dit. On est perdu, et du coup moyennement convaincu par les scènes sur-signifiantes qui apparaissent au milieu de ce vide existentiel : une longue séquence de répétition théâtrale qui en dit trop, ou un dialogue entre copines mal copié de Bergman (les scènes en Allemagne sont d'ailleurs pratiquement toutes ratées). C'est bien de cultiver l'opacité, mais à condition que l'on sente que celle-ci cache une profondeur : ce n'est pas le cas ici, les personnages s'avérant au final assez creux et banals.
Reste que la mise en scène est brillante : Schanelec sait parfaitement gérer les changements de plans subits, notamment lors de la plus belle coupe du film dans un bistrot. Un couple discute, très long plan fixe (dans les 5 minutes) sur eux ; puis un copain entre, sort une remarque acide, et subitement, l'angle change, presque violemment, rendu d'autant plus impressionnant qu'il arrive après cet interminable cadre. De même, lors de cette répétition théâtrale, où Schanelec utilise merveilleusement les changements d'angles sans couper, se servant de cette scène jouée plusieurs fois pour varier les regards, pour aller filmer d'autres détails, d'autres sentiments. Tout le film est ainsi, hyper-construit, implacable. Dommage que la réalisatrice n'ait rien trouvé à raconter une fois son dispositif mis en place.