J'ai pas sommeil de Claire Denis - 1994
J'ai la curieuse impression d'avoir passé 1h45 sans rien capter de ce qu'on veut me raconter. J'ai pas sommeil réunit à peu près tout ce qui me gave dans le fameux cinéma d'auteur à la mode : poses d'artiste maudit à deux balles, discours volontairement brouillé, dissimulation du vide par des tics auteuristes archi-usés, effets sur-écrits destinés uniquement à faire la couverture des Inrocks... Je veux pas faire mon journaliste de Première, mais c'est vrai que quand on voit ce genre de film, on a tendance à se réfugier un peu chez Bruce Willis.
Je ne sais pas ce que dit J'ai pas sommeil, et je suis à deux doigts de penser que ça ne dit rien du tout. On croise un groupe de personnages opaques comme il se doit, qui tournent tous autour d'un jeune homo tueur de vieilles dames, et qu'on a déjà vus dans la production française fashion de ces dernières années : père concerné et triste qui veut changer de vie, jeune immigrée livrée à elle-même, flics bedonnants, femme préoccupée par ses problèmes de couple, et jusqu'à Line Renaud (!) dont on imagine bien le potentiel hyper hype que Claire Denis veut lui octroyer : c'est tellement tendance de prendre une actrice ringarde et d'en faire une icône. Ben oui, mais Line Renaud, elle est à chier, c'est pas une surprise et c'est pas faute d'avoir prévenu. La réalisatrice voudrait voir comme une audace énorme le fait de lui faire jouer une mamie adepte de l'auto-défense, c'est juste une idée à la con.
A part ça, on s'ennuie gravement devant ces lambeaux de scènes qu'on dirait extraites au hasard d'un flux morne et languide. Jamais ça ne fait sens, d'autant que Denis met son point d'honneur à pratiquer une ellipse inutile pour faire mine qu'elle cache des choses (elle appelle ça du "non-dit", sûrement). Ce fut aussi ma méthode de drague, fut un temps : jouer le mystère pour faire croire qu'on est profond. Et pour moi non plus, ça tenait pas sur 1h45. Ici, c'est par exemple des séquences entières dialoguées en russe, et non sous-titrée, des fois qu'on arrive à comprendre ce qui se dit ; c'est des bribes de textes inaudibles dans des coins de porte, des personnages fantômatiques dont on ne nous dit rien, des séquences semblant surgies d'un autre film. Un peu comme si on avait sorti tous les rushes des films français des années 90, et qu'on les avait montés ensemble. Avec, comble de l'effet usé jusqu'au trognon, LA scène de danse sur une musique tendance (Jean-Louis Murat, mouaif), pour montrer qu'on est contemporain et qu'on a des super disques. "J'ai pas sommeil" ? C'est pas le cas de tout le monde.