Le petit Théâtre de Jean Renoir de, eh ben, Jean Renoir - 1970
Pour son dernier film, Renoir choisit la discrétion et la modestie des sujets. Figé devant un petit théâtre de marionnettes, il annonce qu'il va tenter de "nous divertir" avec des petites histoires sans prétention. On aurait pourtant aimé qu'il en eût un peu plus, de la prétention, plutôt que de nous servir ces sketches vieillots et laborieux. On le voit à l'écran dans ces petites scènes de présentation, et ce sera confirmé tout au long du film : le gars a déjà un pied dans la tombe.
La première histoire est un conte de Noël kitchounet adapté d'Andersen. Renoir profite de cette histoire de dernière nuit d'un couple de clodos au grand coeur pour montrer encore une fois son humanisme et son amour pour les petites gens. Mais les acteurs sont bien pâlots, rendus encore plus distants par une post-synchronisation étrangement maladroite. Si on prend note que le Renoir vieillissant est toujours le même que celui de Boudu, dans ces taquineries autour de la lutte des classes, on s'étonne aussi de voir ce grand amoureux de Zola livrer une vision aussi simpliste des rêves des pauvres. Visiblement, il n'a pas lu Germinal, et son clochard n'a pour ambition que d'atteindre le luxe exorbitant des riches. Pour autant, pas l'ombre d'une ironie quelconque vis-à-vis de son personnage, que Renoir semble accompagner dans cette utopie douteuse. Et puis l'à-plat assez moche des décors finit de gâcher l'ensemble, même si on reconnaît ça et là des bribes d'inspiration "enfantine" passée (La petite Marchande d'Allumettes notamment).
Changement radical de ton ensuite : Renoir s'attaque frontalement au progrès, sous la forme d'une historiette autour de l'obsession d'une femme pour une cireuse électrique (sic). Si les scènes de ménage sont parfois amusantes, grâce à des acteurs plutôt pas mal, si quelques plans d'ensemble sont enlevés (influence Tati évidente), le sketch s'enterre définitivement à cause des choix de mise en scène : le gars choisit de faire de cette histoire un opera, et filme de temps en temps un choeur qui vient commenter cyniquement l'action ("tuer un homme c'est blâmable, tuer une machine c'est insupportable"), ou des monologues chantés (faux) par la comédienne. C'est nullissime, non seulement parce que la musique est infâme, mais aussi parce que Renoir ne gère absolument pas la distance amenée par ce style. Interprètes en roue libre (observez bien les seconds plans), mise en scène figée et mal montée : le discours ironique ne passe pas, et on a bien de la peine pour ces chanteurs qui n'ont pas l'air d'y croire non plus. Dommage : pour une fois que Renoir s'intéressait au monde contemporain...
Du coup, il revient bien vite à la Belle Epoque, avec deux minutes cette fois-ci magiques : une chanson niaise interprétée par Jeanne Moreau, très belle. Un travelling avant d'une émouvante légèreté, un travelling arrière non-moindre, et c'est plié. Et c'est touchant comme tout. Comme quoi, pas besoin d'anecdotes à deux balles pour convaincre. Un visage, un metteur en scène qui sait le regarder, ça suffit amplement.
Enfin, retour à l'époque contemporaine, mais à travers l'univers rural et bon enfant de la Provence, dans un conte que pour ma part j'ai trouvé très cruel, mais que Renoir semble prendre du bon côté : l'histoire d'un brave type qui, se découvrant cocu, accepte le ménage à trois sous la risée de tout le village. Audace étonnante dans le scénario, donc, qui montre que Renoir enregistre les évolutions des couples contemporains (on est loin de la vision de La Chienne ou de La Bête Humaine). Les acteurs sont bien, et heureusement, car on sent que le réalisateur les a laissés s'égayer à leur aise sans vraiment les diriger (interprétation très floue de Françoise Arnoul, qui joue à contre-sens du texte) ; les personnages sont mignonnets aussi, surtout le rôle secondaire de la jeune bonne qui rêve d'être une femme fatale mais sort avec le boucher. Mais le rythme est encore une fois très poussif, et ce petit sketch ne "sert" finalement pas à grand-chose. Renoir veut se la jouer modeste : le résultat est médiocre et cheap.
Rest in peace, mon bon Jean, cela dit.
Renoir est tout entier ici