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23 janvier 2008

Ouvriers, Paysans (Operai, Contadini) de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet - 2000

10455Ah le bon temps où voir une oeuvre d'art était un moment d'engagement personnel essentiel, où la salle de cinéma pouvait bruire de mouvements de révolte et de colère, déclencher des émotions extrêmes. Je viens de vivre, en allant voir Ouvriers Paysans, une véritable bataille d'Hernani en direct, qui est venu contredire l'impression de morne plaine que me donnait le cinéma récent. Les fauteuils claquaient bruyamment toutes les 5 minutes, les gens sortant en invectivant, ceux qui restaient étant touchés aux larmes (ou endormis, selon). Magnifique qu'un film puisse déclencher ça.

Oui, Ouvriers Paysans n'est pas le film le plus lisse qui se puisse imaginer. Les deux grands malades que sont Straub et Huillet  plantent leur caméra dans une forêt italienne. Un panoramique de 180° sur les arbres, et c'est parti pour 2 heures de lecture d'un texte de Vittorini par des acteurs amateurs plantés dans le sol. Environ un geste par quart-d'heure, quelques mouvements de caméra pour recadrer, une diction lente et mécanique, une alternance de gros plans et de plans d'ensemble, puis à nouveau un panoramique qui se conclut sur un longuissime plan fixe, et merci bonsoir. Il y a de quoi hurler.

Et pourtant... Ce film est l'essence même du cinéma, un cinéma privé de son gras, réduit à son essentiel (texte/lumière/son), qui affirme sa radicalité comme une ascèse, comme une religion. Il y a en effet quelque chose de mystique dans cette expérience souvent hallucinogène, dans l'hypnose qui saisit le spectateur, dans cette absorption complète du regard dans l'écran. Le montage, calculé au micro-millimètre, tout comme le déroulement et "l'interprétation" du texte, finissent par s'imposer comme une évidence. Les Straub mettent à égalité le comédien et son texte, eux-mêmes avec la nature : les sons des oiseaux ou des chiens, le passage d'une mouche, la chute d'une feuille, deviennent des évènements aussi capitaux que les rares gestes des interprètes. La pose de silence équivaut à une respiration à l'unisson du public ; le regard qui se lève subitement devient un coup de théâtre. Petit à petit, on a l'impression d'être "là où ça se passe", dans une expérience sensorielle, que les Straub transforment en manifeste politique et esthétique. L'histoire racontée (une communauté qui se reconstitue au sortir de la guerre, et les conflits, amours, tromperies qui en résultent) est à l'unisson parfaite avec cette forme radicale, d'une impolitesse et d'une sincérité totales. 

"C'est pas du cinéma", vociférait une spectatrice à la fin de la séance. Ce n'est que ça. C'est même LE cinéma. Mais privé de tous ses "mensonges", de tout ce qui fait son charlatanisme. Un plaisir pur : celui de vérifier que le cinéma déclenche encore des hystéries.

Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez

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