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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
3 janvier 2021

Herbes Flottantes (Ukigusa) (1959) de Yasijuro Ozu

ukigusa_1_Pas de changements radicaux dans cette seconde version si ce n'est que la troupe arrive en bateau (mouais), que le leader de la troupe ainsi que sa maîtresse sont relativement plus âgés que dans l'original, et que la photo couleur Kazuo Miyagawa, si elle apporte de l'éclat, fait perdre un peu de charme à l'ensemble (c'est purement subjectif d'autant que les couleurs du film sont éblouissantes... mais bon on est nostalgique ou on ne l'est pas...)

Dans cette seconde version Ozu s'attarde un peu plus sur la vie de la troupe - scène humoristique d'un acteur qui drague la fille du barbier et qui finit par se faire raser par une matronne, qui, on le découvre dans un plan suivant, coupera l'importun ; séquence également sur la plage où la troupe sous une chaleur écrasante essaie de tuer le temps et prend à partie un avion qui passe dans le ciel pour qu'il livre des Suntory -, mais reste fidèle, notamment dans toute la fin, à l'esprit de la première mouture. Le leader de la troupe, Komajuro (et non plus Kihachi) est joué de façon un peu plus virulente et explosive par Ganjiro Nakamura ; cela donne encore plus de relief à cette scène de dispute sousukigusa018yx_1_ la pluie, lorsque sa femme vient lui rendre visite chez son ex-maîtresse : chacun se positionne d'un côté et l'autre de la rue, des trombes d'eau, les dissimulant en partie, s'écoulent des toits, et derrière ce voile protecteur le passé peu glorieux des deux ressurgit violemment - règlement de compte égrainé par goutte de pluie, sous-titre de la séquence... La jeune actrice qui séduit le fils de Komajuro est jouée elle par Ayako Wakao (belle comme le jour) et Ozu trouve une très belle idée pour la première rencontre : elle se rend elle-même à la poste où il travaille et quand le fils lui demande quelle est son message, elle lui répond : "Rendez-vous dehors", "Destinataire?" fait-il, "Toi" répond-elle - c'est léger et cela passe sur du velours. Peut-être moins d'instants de comédie ou d'émotion pure dans les dernières scènes, Ozu ne s'amusant pas forcément à refaire plan pour plan sa première version - ainsi plutôt que de filmer systématiquement les acteurs séparément, il montre le fils de dos (pris en contre-plongée, comme d'hab) avec à sa droite et sa gauche son père et sa mère, comme s'il devait faire face à ses devoirs - celui-ci aura tout de même le courage de critiquer ce père absent qui finira par reconnaître ses torts.

floatweeds_screen1_1_Il est intéressant d'étudier les infimes variations sur ce même thème d'Ozu, qui semble s'amuser parfois à prendre une légère tangente (le fils ne hoche plus la tête quand sa mère l'interpelle en lui disant "ton père ?" - il semble compatir intérieurement ; Komajuro, à la fin, lorsque son amie vient dans un geste de réconciliation lui allumer sa cigarette, résiste quelques secondes de plus - comme si chacun était encore plus sûr de ses positions, de ses motivations, comme si chaque caractère était encore plus aiguisé)... Que dire enfin de l'un de ces premiers plans, celui du phare et de la bouteille, un concentré de l'esthétique d'Ozu, qui s'amuse à faire un double de sa propre œuvre, en gardant la même ivresse, le même pouvoir d'attraction et de fascination ?   (Shang - 29/11/06)


Je n'ai plus la première version du film en tête, aussi ai-je été on ne peut plus comblé par la vision de ce film rafraichissant et apaisant comme une petite brise, moins tourmenté que la plupart des Ozu, plus gai, plus zen aussi. Tout le début est génial, avec cette petite reconstitution d'un été ensoleillé sur une petite communauté insulaire troublée par l'arrivée de la troupe de théâtre. Ozu, par touches impressionnistes, par sa désormais célèbre alternance entre plans d'ensemble très épurés et gros plans hyper rigoureux, parvient à restituer avec une puissance incroyable cette vie faite de petites choses. On est littéralement plongé dans la douceur du film, qui ne nous lâchera pas malgré les drames et les mini-effondrements des personnages par la suite. Façon ange de Théorème, cette troupe de kabuki va bouleverser plus ou moins durablement les habitants de l'île, puis s'en retourner (non sans avoir perdu elle aussi quelques plumes au passage). La grande politesse de Ozu étant de ne jamais tomber dans la démonstration, dans le mélodrame, dans l'excès : si bouleversements il y a, tout se fait derrière le masque, le sourire, la douceur, la pudeur. Et c'est mille fois plus puissant qu'avec des larmes et des cris. Les sentiments ne sont jamais violents, malgré leur force (un homme qui découvre qui est son père, un vieux qui revient sur son passé, un amour mort qui renaît un peu sous les cendres...). Passée la magique première heure, il est vrai que le film piétine un peu, ayant du mal à sortir de l'anecdotique pour devenir plus général ; on observe l'effondrement de ces gens, mais on n'éprouve pas vraiment d'empathie, allez savoir pourquoi, et même les scènes bouleversantes de la dissolution de la troupe ou de l'adieu à la gare ne parviennent pas à atteindre l'émotion habituelle des grands films de Ozu. Mais ça n'empêche qu'on ne peut que crier à la grandeur en voyant la forme parfaite du film, ses couleurs éclatantes, la science parfaite du rythme et du montage, la délicatesse de la direction d'acteurs. Peut-être le moins bon Ozu en couleurs, mais un des plus grands films du monde. C'est dire ce que je pense des autres.   (Gols - 03/01/21)

003_Ukikusa-(Floating-Weeds)

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Commentaires
M
Je préfère le remake.<br /> <br /> Mais peut-être parce que, contrairement à toi, Shangols, je l'ai vu avant l'original? <br /> <br /> Ne pas sous-estimer le bouleversement de la découverte... Surtout avec Ozu, ce gouffre à émotions.
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