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26 mars 2024

Alice (Něco z Alenky) de Jan Švankmajer - 1988

Comment terrifier un enfant à vie en 1h30 ? C'est le pari réussi que tente le bon Jan Švankmajer avec sa vision cauchemardesque du livre de Lewis Carroll, Alice au Pays des merveilles, transcription pour marionnettes parfaitement géniale. Avec sa technique de stop-motion qu'il a désormais élevée au rang des Beaux-Arts (c'est de la perfection absolue), il se saisit du conte et le tord pour le faire correspondre à son imaginaire macabre et malaisant : le résultat tient à la fois du rêve morbide et de l'enchantement, épousant ainsi celui de l'enfant que je fus et que je suis encore. Car l'univers de Švankmajer est très proche de celui des mômes au final, mélange de peur, de fascination pour la mort, de candeur, de rose bonbon. Le cinéaste leur en donne pour leur argent, en y ajoutant même une bonne dose de poésie, d'humour et d'intelligence.

Les créatures qu'Alice croise dans ce film sont des carcasses d'animaux, des bêtes empaillées, des objets issus d'un cabinet de curiosités un peu poussiéreux, ou d'un musée d'histoire naturelle oublié. Le lapin empaillé, par exemple, ressuscite, se décloue de sa planche, brise la cage de verre où il est enfermé, et ne se nourrira plus que de la sciure dont il était rempli, se recousant au besoin lui-même pour éviter l'hémorragie ; le Chapelier fou ou le Lièvre de Mars sont des pantins désarticulés, se désagrégeant plus ou moins, comme de vieux jouets usés ; de vieilles chaussettes servent de vers géants ; et on peut utiliser des tranches de barbaque ou des bocaux poussiéreux pour créer un nouveau monstre. La petite Alice, tantôt vraie comédienne, tantôt poupée de porcelaine (merveilleux travail sur les points de vue, suivant la taille de la gamine), traverse ce musée assez inquiétant en vraie héroïne courageuse, essuie les chutes et les coups sans broncher, toujours étonnée par ce qui lui arrive. Et c'est vrai qu'au niveau des aventures, elle est servie. Si ce n'est un petit piétinement de l'intrigue aux deux tiers du film, elle passe sincèrement de situations dingues en événements absurde, l'imagination de Švankmajer (et de Carroll) semble infinie.

Ce que le cinéaste tchèque ajoute à l'imagerie très anglaise du livre, ce qui le distingue et l'élève au-dessus de ses collègues (y compris de Disney), c'est qu'il y mêle non seulement ces éléments morbides, dérangeants, ce catalogue de jouets cassés et de poubelles vides, mais aussi une vraie imagerie surréaliste : on reconnait dans ces mises en scène complètement barrées, dans ces tiroirs ouvrant sur l'infini, dans ces petites filles qui deviennent grandes puis petites puis grandes, dans ces maisons de poupée aux dimensions insaisissables, la patte des grands peintres fous, comme Dali ou Magritte, des traces du cinéma de Buñuel, les dessins de Topor ou les motifs de Kafka, et même les grandes fresques de Bosch. Enfin tout un univers gentiment loufdingue, qui, associé aux tendances macabres et à l'humour violent de Švankmajer, donne un bazar étonnant, hyper-inventif et franchement inquiétant (ces cris de bébé incessants, brrr). Tout ça dans une technique extraordinaire, fait de papiers animés, de stop motion, de marionnettes... Une vision très singulière du conte de Carroll, et tout un univers à lui tout seul. Très grand.

 

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