Mahjong (Ma jiang) (1996) de Edward Yang
Voilà une œuvre de Yang un brin déroutante qui, à défaut de suivre une ligne scénaristique claire, décide d'exploser les points de vue ; on suit en particulier le gang d'un certain Red Fish, nerveux et fort en gueule, et dont les acolytes ont chacun leurs petites caractéristiques : le gentleman un peu nonchalant Luen-Luen, le dragueur tout terrain Hong Kong ou encore le petit mecton chauve un rien frustré qui s'amuse à jouer les devins. On suivra, dans ce Taipei de la fin des années 90, les différentes trajectoires de ces individus qui tentent tant bien que mal de trouver leur dû... Différents personnages secondaires navigotent autour d'eux, des Occidentaux pour la plupart : une ancienne strip-teaseuse qui dirige dorénavant une boîte, un grand échalas anglais qui fait du business et une petite Française (Virginie Ledoyen, what a surprise !, je ne m'attendais absolument pas à la voir débarquer chez Yang) qui est venue au départ rejoindre ce grand con d'Anglais infidèle et qui va avoir de multiples mésaventures (douche froide amoureuse, kidnapping, multiples chevaliers servants...). Alors oui, on a l'impression que cela part un peu dans tous les sens mais au final on obtient un portrait plutôt cohérent de tous ces personnages qui vont aller de mal en pis ou qui trouveront, au bout, leur petite part de douceur brute.
A l'image de Red Fish, les protagonistes de l'histoire ont la tchatche et on assiste à plusieurs joutes verbales rondement menées (en boîte, en plan drague, en plan biz...) entre nos différents personnages. Il est bien sûr question ici d'amour mais sur un petit ton souvent caustique ; si l'on peut trouver le gars Red Fish plutôt gonflé et un brin miso quand il décide de partager sa dernière conquête avec ses potes (la pauvrette est toute éberluée), le retour de bâton féminin aura lieu lorsque la cougar séduite par Luen-Luen appellera ses copines pour qu'elles testent à leur tour ce joli petit morceau. Avec Virginie Ledoyen (sexy girl, si si), on passera de l'amour vache (cet Anglais qui ne sait trop comment la gérer) à l'amour ultra romantique (le timide Luen-Luen, ultra protecteur envers elle, parviendra-t-il à ses fins, à attirer enfin son attention ?). Il est aussi question ici d'arnaques, de plans plus ou moins foireux (le gang qui veut utiliser Ledoyen comme une sorte de "monnaie d'échange" ou qui monte des plans abracadabrants avec ce soi-disant sorcier-devin...) mais également, on est bien chez Yang tout de même, de relation familiale : le gars Red Fish, abandonné par son pater, semble avoir bien du mal à trouver son équilibre... Il finit par le retrouver (le père, pas l'équilibre), et une curieuse relation se noue entre ce père un rien je-m'en-foutiste et ce petit caïd qui a soif de vengeance... Elle se conclura dans une sorte d'apothéose de violence comme si toute la frustration de Red Fish finissait soudainement par lui exploser à la gueule (et à la gueule, surtout, d'un autre protagoniste...). C'est un film d'ambiance, assez déstabilisant dans le fait qu'on ne sait jamais trop où il va nous amener, quelle piste il va suivre, à quel personnage il va s'attacher, mais qui parvient en deux heures à nous faire un portrait assez enlevé et touchant de ces jeunes individus de Taipei pris entre rêve à l'occidentale et petite magouille locale. Pas si mal troussé.