"Les humains sont sortis des grottes et des bois pour construire des cités, mais certains reviennent sur leur pas et habitent à nouveau la forêt".

Sans transition avec le livre préhistorique précédent, nous voici donc en 2015, année quasi fatale pour la narratrice de cette histoire puisqu'elle dut lutter à mains nues (enfin pas totalement, elle avait quand même un piolet à portée de main...) contre un ours. On sait depuis Herzog que ce genre de confrontation sauvage finit, même avec les meilleures intentions du monde, généralement plutôt mal - pour l'humain s'entend. Martin s'en sortit certes miraculeusement mais n'en sortit, on s'en doute, point totalement indemne aussi bien physiquement que moralement. C'est ce qu'elle décide de nous raconter dans cet opuscule où les mots se font volontiers "réparateurs", prennent une dimension salvatrice.

Pas facile d'être anthropologue et d'avoir choisi comme terrain de jeu, enfin d'étude, l'Alaska puis le Kamtchatka. Il faut aimer les terrains rugueux, les climats glaciaux, les peuplades reculées. Nastassja en a fait son terrain de prédilection, malgré les congères, malgré les russes peu avenants et guère accueillants ces derniers temps, mais tomba en cette année 2015 sur un bec, en l'occurrence un ours perdu et peu amène. Il sera ici question du combat, bien sûr, furieusement sauvage (ne jamais regarder un ours droit dans les yeux, on le sait pourtant), mais aussi des opérations cliniques diverses et tumultueuses (de la Russie à Paris), de la réparation physique et "psychique" forcément difficiles (se retrouver défigurée n'est jamais plaisant) mais encore, également, de considérations panthéistes, chamaniques ou tout bonnement et simplement anthropologiques... Vaste et intéressant programme. Si je dois bien avouer que ces concepts chamanistes, entre autres, ne furent jamais trop ma tasse de thé, les différentes pistes traitées par l'auteure sur une nature qui s'infuserait en nous (de l'arbre à l'animal) sont traitées ici sous un angle plutôt pertinent - comment ne pas finir par reconnaître que cette dégradation progressive de la nature ne touche point directement notre propre nature, par exemple... Martin, dans sa quête de sens, ne s'arrête pas en si bon chemin et, en bonne française qui se respecte, fait aussi preuve d'une certaine tendance très critique envers ses propres congénères (les regards sur son visage cicatrisé en disent souvent long...) et à glorifier ces autochtones pleins de bon sens dans l'adversité. C'est de bonne guerre, on voit bien dans quelle direction se concentre son empathie, c'est sûrement une sorte de déformation professionnelle - (ceci dit, on ne peut pas non plus lui reprocher d'avoir forcément tort dans ce cas précis). Un combat donc "d'anthologie", presque mythique, contre ce monstre poilu qui ouvre sur une sorte de renaissance, de prise de conscience éclairée de la Nastassja face à ses proches, son entourage, son travail... Bien. Si l'on pourrait reprocher tout de même à l'auteure de parler beaucoup d'elle (le fait de se sentir devenir une sorte d'ours-bis jouerait-il sur son hubris ?) et une quasi absence d'humour (me trouvant actuellement dans les Hautes-Pyrénées, il se trouve que moi aussi j'ai franchi l'Ourse ce matin, en courant, d'un pas allègre - et je n'en fais pas tout un pot de miel pour autant), force est de reconnaître que ce petit écrit évoque une aventure humaine, pour ne pas dire surhumaine, assez bien léchée et une réflexion sur l'état du monde non négligeable. Malgré ce ton un brin sentencieux (le sérieux comme la peur tue l'esprit, enfin le mien), on suivra la Nastassja à l'est des rêves d'ici peu pour voir si cet essai nourri de son expérience peut permettre d'ouvrir un peu plus nos chakras sur le monde... A voir, et à lire, donc.

LIVRE : Croire aux Fauves de Nastassja Martin - 2019

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