Si j'avais quatre Dromadaires (1966) de Chris Marker
Quelques photos volées ici ou là aux quatre, que dis-je, aux huit - si ce n'est plus - coins du monde (Cuba, Chine, Israël, Grèce, URSS, France, Suède, Corée du Nord, Japon...) que viennent sporadiquement et magnifiquement commenter deux voix masculines et une féminine. "La photo c'est la chasse, des instincts de la chasse, sans l'envie de tuer" dit l'un d'eux en intro, et nous voilà partis à la rencontre d'individus anonymes ou d'animaux en empruntant des chemins de traverse, de la promenade des Anglais à Nice à "la promenade des Chinois" plus connue sous le nom de Grande Muraille... Deux parties dans ce doc, le côté "château" kafkaïen et le côté jardin aux images légèrement plus apaisées. Marker attaque par une véritable déclaration d'amour au peuple russe dont il ne semble jamais pouvoir se lasser de tirer le portrait, et s'attarde quelques instants sur une étonnante fête de la jeunesse propice aux rencontres internationales. Marker aime particulièrement Moscou pour un petit côté "1900" qui pourrait se résumer par une pincée d'esprit "campagnard" et par la grandeur de ces espaces, une ville entourée de jardins où l'on peut pleinement respirer... Un peu comme Shanghai, maintenant, quoi... Hum... Un petit détour chez les moines grecs qui semblent vivre leurs dernières heures, puis une évocation de la pauvreté humaine qui s'étale souvent sur les trottoirs des cités : des image de gaieté tout de même pour commencer ("J'ai vu un jour des pauvres heureux" - c'était à Nanterre lorsque la population algérienne fêtait le premier jour de leur indépendance) puis des images plus tristounes avec un petit refrain castriste qui donne le ton à l'ensemble ("Trahir les pauvres, c'est trahir le Christ"). On passe sur la pointe de pieds d'éléphants au côté jardin avec, donc, de drôles d'animaux dont ce raton laveur qui lave son linge sale en public ; puis un passage sur des visages d'enfants souvent esseulés avec comme accompagnement cette bien jolie sentence : "Il n'y a pas plus d'enfants unis que de nations unies". Un portrait d'une vieille militante communiste permet à Marker d'évoquer lucidement les premières désillusions des révolutions russes et chinoises, on fait un court détour en Scandinavie où le Chris, sur des photos presque trop lisses, parle de ce "conformisme sans agressivité" et de ce "bonheur sans passion" - toujours le sens de la formule - puis on assiste à une dernière ligne droite en forme d'hommage : aux femmes, aux graffiti et à la tendresse du monde par l'entremise de clichés de couples enlacés. Petit voyage au long cours à travers le monde où Marker fait déjà preuve d'un sixième sens irréfutable pour cerner les liens invisibles qui existent entre les différents peuples. Un regard toujours plein de compassion, de passion, d'empathie, de pathie (le mot n'existe point mais avouez qu'au niveau du rythme cela s'imposait) et des mots toujours envoûtants. Tout Marker en un "clip" et en plusieurs déclics.
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