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18 septembre 2010

Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) (Lung Boonmee Raluek Chat) d'Apichatpong Weerasethakul - 2010

Une palme d'or couillue cette année, puisque Oncle Boonmee se heurtera sûrement à la horde des critiques du genre "on n'y comprend rien, c'est lent et donc chiant", etc. Je précise donc que je n'ai pas compris grand-chose à ce film, mais que peu me chaut : il y a belle lurette que j'ai arrêté d'essayer de saisir le cinéma de Weerasethakul. Comme dans ses précédents objets, on est confronté à l'éternelle question du scénario dans les films du bon Thailandais : un film doit-il raconter une histoire, si oui doit-elle être entièrement lisible, ce genre de choses, voyez ?

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Il faut se laisser happer par ce film. Accepter le mystère, le dépaysement, la déroute. Or Weerasethakul excelle dans la façon qu'il a de nous accompagner doucement, de nous servir de guide dans son labyrinthe mental et formel. Tout comme le fantôme qui mène Boonmee dans une grotte pour le confronter à sa mort, on se laisse avec délice mener par le cinéaste de décors en décors, de formes en formes, et le voyage, hallucinant et mystérieux, vous donne la sensation de traverser un univers mental foncièrement original. Un peu comme le Lynch de Lost Highway, finalement. On dirait que Apichatpong choisit une nouvelle direction à chaque bobine de son film : on passe d'une chronique rurale quasi-documentaire à un film en costumes, d'un essai fantastique à une rêverie poétique, d'un film expérimental à un scénario psychologique, le tout sans transition, par simple confiance en la sensation du public. On accepte ou pas le jeu ; si on l'accepte, c'est prodigieusement agréable.

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Le travail technique est impressionnant : les rythmes du montage, faits la plupart du temps de très longs plans scandés avec une sensibilité infinie, sont encore une fois radicaux mais très justes. Sans jamais tomber dans la pure provocation de l'artiste maudit (ce qui, je le reconnais, a pu être le cas, dans Mysterious Object at Noon par exemple), le montage se laisse faire par une sorte de tempo naturel, qui épouse doucement les rythmes de la nature ou de l'univers intérieur des personnages. L'écran est trop petit pour Weerasethakul : il en débode constamment les cadres par le son, omniprésent et superbe, du vent, des arbres, des animaux. Véritable fresque pastorale dans ses meilleurs moments, le film y gagne une densité fascinante, on est toujours immergé dans l'univers de cette jungle, même quand ce qu'on voit à l'écran est une simple réunion de famille. La quasi-absence de gros plans renforce cette impression d'ouverture spatiale sur la nature. Weerasethakul (avec Naomi Kawase, dirais-je) se montre ici le véritale cinéaste des battements de la nature, celui qui sait le mieux en capter les ambiances et les sons. La lumière, aussi, qui se veut à la fois naturaliste (l'écran plongé dans le noir quand les lampes "naturelles" sont éteintes) et étrange (grain intrigant de l'image, variations des techniques de scènes en scènes), participe à ce poème à cheval entre un fantastique doux et une chronique documentaire pur jus.

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Difficile, c'est vrai, d'aimer TOUT le film. J'ai par exemple moins adhéré à ce brusque décrochage vers l'image fixe, aux deux tiers du film, qui apparaît comme un rajoût peu naturel, ou le vide pour le coup excessif des dernières séquences. Mais il y a dans Oncle Boonmee plus de cinéma que dans n'importe quelle oeuvre d'aujourd'hui, et le plus beau est qu'Apichatpong essaye toutes les possibilités en un seul mouvement. Curieusement homogène pourtant, le film semble être un cheminement d'un seul mouvement, mais qui prendrait plein de chemins escarpés pour arriver à son but. D'une douceur infinie, d'une mélancolie discrète, et aussi d'un humour souvent jouissif, le fantastique prend ici un visage jamais vu ailleurs : les fantômes, les hommes-singes, la mort même, s'invitent à la table des vivants sans heurts, avec naturel. On sent que la culture thailandaise nous est lointaine, certes, et que la plupart des signes proposés est inconnue de l'occidental moyen ; mais on s'en fout : on traverse le film comme on pourrait traverser un pays et une culture inédits, les yeux grands ouverts et le compteur des émotions au taquet. Un voyage unique en immersion totale, franchement délicieux.

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