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13 décembre 2023

La Bête dans la jungle de Patric Chiha - 2023

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Les corps en mouvement semblent être l'affaire de Patric Chiha, si on en croit son film précédent (commenté par Shang) et ce nouvel opus. Et comme j'aime bien le cinéma sanguin, incarné, physique, vous pensez bien que j'ai été emballé par la chose. Le gars s'empare d'une nouvelle de Henry James et fabrique le film le plus contemporain et le plus sensoriel de l'année, le tout avec trois acteurs, une poignée de figurants et une bande-son qui devient le personnage principal de la chose. Tout ou presque se passe entre les quatre murs d'un club, tenu par la prêtresse Béatrice Dalle, parfaite en démiurge-animal nocturne. Là, May (Anaïs Demoustier, dont c'est la première fois que je la trouve géniale), danseuse et fêtarde éternelle, rencontre John (Tom Mercier, une présence incroyable), étrange garçon un peu vampire. Elle est prête à cramer sa vie en dansant et en baisant des mecs, lui attend quelque chose, un événement qu'il sait devoir arriver, qui va secouer les bases de l'univers. Pim, elle lui propose d'attendre avec lui. Et en attendant Godot, ces deux-là traversent les décennies, de l'insouciance des années disco des 80's à la transe froide de la techno des années 2000.

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La Bête dans la Jungle est donc une sorte de Le Bal version 2.0. D'un romantisme fiévreux, il montre non seulement un sentiment qui bouge (l'amour, l'amitié, la confiance en l'autre, la découverte d'un alter-ego), mais aussi l'évolution d'une société et le vieillissement des corps et des esprits. Chiha enregistre avec une beauté folle les mutations de la musique de club, passant de l'extase en groupe (le beau générique en super-8 sur les bals de campagne) au quasi-effroi de la solitude post-Sida, où tout le monde danse seul, yeux fermés, sous l'effet des drogues. La lumière change, les mouvements du corps aussi, les ambiances surtout : ces scènes des années 80 où le sida fait rage et qui laisse les pistes de danse désertes sont somptueuses, tout comme l'éveil à une sexualité nouvelle dans les années 2000, avec tous ces corps dégenrés. A travers la danse, l'énergie, la transe, le film capte merveilleusement les métamorphoses de la jeunesse, ces masses dansantes vieillissant en parallèle avec les deux héros.

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Ceux-ci contemplent un peu à l'écart ces vastes mouvements de foule et d'époque, attendant cet événement qui finira par arriver d'un côté qu'on n'attendait pas. En prenant tout son temps (le film est lent), Chiha observe avec énormément de tendresse son couple bizarre se tourner autour, en demande perpétuelle de l'autre et en même temps assez indifférent : tout ce qui se passe en-dehors de la boîte ne les concerne pas, et même si l'actualité pénètre parfois dans le club (l’élection de Mitterrand, la chute du Mur, le 11 septembre...), ils la regardent sans grande passion. Importe beaucoup plus, et on est bien d'accord avec eux, les infimes changements dans leur façon de regarder l'autre, cet amour naissant très doucement. C'est bouleversant de regarder ces deux jeunes gens vieillir avec leur époque, et j'ai rarement vu une façon aussi directe de parler du temps qui passe, avec mélancolie et une force de vie poignante. Voilà un film qui comprend sa jeunesse et son temps, qui se place à la hauteur de ses personnages, et vous envoie de la sensation comme des shoots. Une merveille.

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