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27 décembre 2022

Aucun ours (No Bears) de Jafar Panahi - 2022

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Vous voulez de la mise en abîme, de l'estompage de frontière entre fiction et réel et du brouillage de réalité ? En v'là. Panahi est pas maladroit depuis longtemps pour mettre en scène la réalité et parfumer ses fictions d'autobiographie ; avec Aucun Ours, il pousse le bouchon très loin, offrant une œuvre dont on a vraiment du mal à démêler le vrai du faux. D'autant que depuis le récent emprisonnement du bougre, une couche se rajoute encore aux lectures possibles du film. Soit donc Panahi lui-même qui dirige un film à distance, depuis la frontière turco-iranienne, par skype interposé. Côté turc, un assistant lui envoie les plans, que notre bougre corrige depuis l'Iran, vaille que vaille, confiné qu'il est dans son minuscule village à la connexion défaillante (joli clin d’œil à Le Vent nous emportera de Kiarostami). Le sujet du film : un couple qui cherche à fuir la Turquie pour gagner la France. Mais notre Jafar est en proie lui aussi à des difficultés de son côté de la frontière : il a peut-être pris en photo un couple illégitime, et toute la communauté fait pression pour qu'il livre cette photo, preuve de la désobéissance aux traditions de mariage arriérées du pays. Film dans le film, photo révélatrice de la vérité, acteurs jouant leur propre rôle, on voit bien que Panahi flirte avec le trouble qui s'installe entre réel et fiction, sur les traces d'un Kiarostami qui n'aimait rien tant que ça. Avec une colère qui n'exclut jamais un certain humour, il avance poing levé, livrant son film le plus ouvertement politique, cultivant l'ambiguïté dans la trame, usant volontiers de symboles tout à fait pertinents dans le contexte.

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Tout ça est franchement intelligent, parfois même brillant. On découvre les difficultés insensées auxquelles doit faire face le cinéaste ; non seulement à cause de son exil forcé, mais à cause aussi de l'atavisme de la population rurale, du danger des réseaux de contrebande, d'un maintien des traditions incroyablement con, le tout enveloppé dans une politesse de façade atterrante. Aucun Ours est une sorte de thriller calme, en plein soleil, sans esclandre. Cette histoire de photo, dont on ne saura jamais s'il l'a vraiment prise ou non, donne à voir un Iran empêtré dans ses traditions les plus rances (en l’occurrence, promettre une fille à un homme dès sa naissance). Plus intéressant encore : l'autoportrait que le cinéaste livre, et qui ne cache pas son sadisme, son obsession impitoyable d'aller capter la vérité même dans les situations les plus ambiguës. Une femme qui meurt, une mauvaise nouvelle, et Panahi se frotte les mains devant le beau plan qu'il va réussir. C'est courageux de se montrer ainsi en démiurge cruel de la vérité.

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Mais je ne sais pas, quelque chose a refusé de m'accrocher dans ce film qui m'a semblé un peu trop fabriqué, manquant de naturel, maîtrisé jusqu'à verrouiller l'émotion. Panahi n'est peut-être pas le cinéaste politique frontal qu'il voudrait être, et son pamphlet paraît moins "dangereux" par exemple que Trois Visages, beaucoup plus subtil, ou Hidden, plus nuancé. Sa façon de raconter en nous livrant les informations très en retard ajoute du désarroi et de la confusion là où il n'y en a pas besoin.  Elle donne l'impression de courir après le film, que le cinéaste en sait plus que nous, et c'est assez désagréable. Rempli de scènes incompréhensibles (mais qui s'éclaireront plus tard, certes), le film met son point d'honneur à se dérober... jusqu'à ce qu'il y arrive complètement. On aime le fim avec son cerveau, point avec son cœur, et tout ça est un peu sec. Ça reste bien sûr dans le haut du panier, mais voici peut-être un des moins bons films de Panahi, trop cérébral, trop faiseur, trop virtuose pour vraiment toucher.

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