The Fabelmans (2023) de Steven Spielberg
On va encore me dire que je ne suis pas un grand fan de Spielberg (c'est vrai), que je ne sais pas reconnaître son sens de l'entertainment (c'est moins vrai) ou encore que je suis passé à côté de ce film où le cinéaste se livre comme jamais sur son intimité et son attachement au cinéma (c'est faux). Car, en effet, on ne passe pas un mauvais moment avec l'ami Steven et on tente d'apprécier ses foultitudes de clins d'oeil aux films qui l'ont marqués, tout comme on sourit, en bonne intelligence, devant l'utilisation "cathartique" ou "révélatrice" (on y revient) qu'il fait du cinéma... Mais revenons d'abord à cette histoire, à ce fil conducteur relativement simple : l'ami Steven y raconte son enfance, au fil des mutations de son père ingénieur visionnaire, talentueux (Paul Dano, un gentil bloc de foi grasse), ses rapports avec ses parents (et les tensions entre son père et sa mère), sa découverte des caméras et du cinéma (il filme, réalise des courts-métrages avec les moyens du bord), ses premières amours (catholiques !) ou encore la discrimination antisémite dont il fut victime en particulier lors de ses études... Voilà posées rapidement les principales thématiques.
Ce qui nous intéresse forcément le plus, c'est la façon, dont, à chaque fois, l'utilisation de la caméra, le fait de faire un film, vont devenir porteur de sens chez ce gamin stevenisé : il y a tout d'abord cette vision au cinoche de Sous le plus grand Chapiteau du Monde qui va marquer au fer rouge notre bambin ; l'accident de train va en effet hanter ses nuits ; la seule façon pour lui de vraiment "catharsiser" cette image choc sera dans un premier temps de la recréer puis de la filmer, de la fixer à son tour sur un film, pour en vider la substantifique moelle mi-traumatisante, mi-merveilleusement marquante. C'est assez malin (filmer pour à la fois se débarrasser de ses cauchemars et "réaliser" ses rêves) et Spielberg d'exploiter par la suite la moindre scène filmée par son jeune héros pour rendre compte des émotions, des prises de conscience de son héros : un film qui révèle le lourd secret de sa mère, un court qui révèle son ingéniosité (les petits trous dans la pellicule : Spielberg et les effets spéciaux malins, une histoire qui dure), un autre qui montre comment il parvient à faire poindre les émotions (si l'acteur ne ressent pas lui-même d'émotion comment la transmettre au-delà de l'écran ?), ou encore un montage sur des images de vacances collégiennes où il parvient carrément à glorifier un con : le pouvoir mystificateur du cinéma CQFD... Un véritable petit cours sur le cinéma de Spielberg pour les nuls illustrés savamment et simplement par son auteur. Pas de doute, il y a de la réflexion dans la "mise en scène" (oups, le mot est lâché) de ces différentes productions filmées et sur les sens, l'essence cinématographique, qu'elles recèlent. Mais, disais-je, si on sourit, c'est parce que cela est sans doute certes malin mais aussi un peu trop voyant, un peu trop clairement exposé, démontré... De la même façon qu'on voit venir de très loin le "secret" de la mère, que la relation amoureuse catho-juive est lourdingue, que les insultes antisémites sont enfoncées comme des clous (...), de la même façon on a toujours ce sentiment chez Spielberg d'une explication un peu "téléphonée" (cela va de soi, et(c)...), un peu voyante. Oui, ce film, malgré sa longueur, reste plaisant, oui, il y a chez Spielberg cette incontournable capacité du bon faiseur, de l'artisan consciencieux, cette mise en scène d'une indéniable fluidité, un fond pas sot, mais aussi ce sentiment d'un cinéma aujourd'hui un peu vieillot (les scènes de College) et un peu trop démonstratif, un peu simpliste. The Fabelmans, au final, constitue une belle fable intime sur un auteur qui ose se dévoiler un brin et qui offre une sympathique petite réflexion sur son attachement au cinéma, à ce que celui-ci lui a apporté, et, par la bande, à ce qu'il lui a aussi modestement apporté (avec en bonus, sur la toute fin, dans le rôle de John Ford, une incarnation surprise géniale qui finit quand même par nous rendre ce Steven fort sympathique...). Correc. C'est tout bon pour un Oscar ? Fort possible. (Shang - 16/12/22)
Sacré Shang, qui parvient à mettre des mots très justes sur ce qui fait la grandeur de ce film, et du cinéma de Spielberg en général, qui en révèle les beautés et l'intelligence, qui note l'intimité et la force de ce scénario... pour conclure au final que mouais, bof, c'est moyen. On a vu le même film, on est d'accord, et on en a la même vision ; mais je soutiens, moi, que c'est un grand Spielberg, que tout ce que note Shang en fait un film bouleversant, intelligent et magnifique. C'est en tout cas son film le plus personnel, puisqu'il raconte la genèse du cinéaste, toutes les émotions et les anecdotes qui ont fait de lui le faiseur de spectacles qu'il est aujourd'hui. Nul besoin après ça de se taper une biographie : il y a tout dans The Fabelmans, qui constitue une révélation des sources d'inspiration du bon maître. Bouleversé, en effet, par cette façon de dévoiler ce qui, pour lui, constitue le cinéma : une catharsis. Au détour de scènes en général merveilleusement malines, à la fois légères et très introspectives, il nous explique pourquoi il filme : pour conjurer la peur (le passage sur le film de DeMille : pour cesser d'avoir peur de la mort, il faut l'imprimer sur la pellicule, la reconstituer dans sa chambre) ; pour rendre la vie plus belle (le formidable dialogue entre le héros et son connard de camarade de classe antisémite, qui ne comprend pas pourquoi ni surtout comment il apparaît beau dans le film) ; pour révéler l'invisible (les amours illicites de sa mère ne sont visibles que sur la pellicule, que le bambin scrute maladivement pour se faire du mal) ; pour fuir la réalité, pour la rendre plus vivable ; pour dire ce qu'on est incapable d'exprimer dans la vie ; ou simplement pour draguer, pour tomber amoureux, pour se révéler. Autant de déclaration d'amour à l'art du cinéma, que Spielberg nous montre à travers un film plutôt joyeux, alors même que le fond est plutôt torturé.
Pour cette fois, la photo de Kaminski, que je n'aime pas du tout en général, met à jour cet aspect "toc" des souvenirs du cinéaste, cette part de fantasmes qui se mêlent à la réalité : Spielberg sait bien qu'il nous donne à voir une version subjective de son enfance, et la photo très hollywoodienne, très "studio", ajoute à cet aspect onirique. Ce qu'il y a de très beau aussi dans The Fabelmans, c'est qu'on y voit déjà, à travers les petits films réalisés par Sammy, la genèse de plusieurs films de Spielberg : une bataille échevelée montée artisanalement annonce Il faut sauver le soldat Ryan ; une scène de tempête annonce La Guerre des Mondes ; une insulte antisémite annonce La Liste de Schindler ; un accident de train annonce Le Train fantôme ; et on voit aussi des clins d’œil à Jaws, à E.T. ou à Munich. On a même droit à une explication possible du fameux "regard à Dieu" qui fait ma joie depuis Duel, qui traverse toute l’œuvre de Spielberg jusqu'à West Side Story. A chaque fois, c'est fait avec une discrétion il est vrai assez inhabituelle chez ce cinéaste qui manque parfois de subtilité. Dernière révélation autobiographique, et non des moindres : l'allégeance du gars à John Ford, traduite ici par une scène parfaite, sobre et drôle. On savait l'amour que Spielberg portait au vieux borgne depuis Cheval de guerre, mais le voir ici rectifier in extremis un cadre pour que l'horizon soit à hauteur "fordienne" est très émouvant, et encore plus parlant que les ciels immaculés de son film de guerre. Toute la carrière du sieur y passe, on le voit bien, à chaque fois mélangée à une histoire classique mais belle, à chaque fois portée par des comédiens excellents (Dano est vraiment bouleversant, Michelle Williams parfaite en mère légèrement borderline), à chaque fois mise en scène (oups) avec une force visuelle impeccable. Dans le top 10 des plus grands Spielberg pour moi. (Gols - 29/12/22)