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14 mai 2021

LIVRE : Maison Tanière de Pauline Delabroy-Allard - 2021

9782378801953,0-7191137J'avais été tellement touché par Ça raconte Sarah il y a une paire d'années que je n'ai pas résisté longtemps à l'appel de ce nouveau livre de Delabroy-Allard, qui s'annonçait pourtant moins ambitieux. Que sa parution dans la nouvelle collection super-tendance trop upstream dirigée par l'énervante Cécile Coulon, au sein de laquelle sont également publiés des auteurs redoutables comme Akhenaton ou Mathias Malzieu, ne vous effraie pas : la dame revient en pleine forme, bien que tournant toujours et inlassablement autour du même sujet : la disparition de son amoureuse. Maison Tanière est en fait une autre façon d'écrire cette histoire, et s'il n'atteint pas la grandeur du roman, on peut apprécier pleinement cette métamorphose en poésie, plus discrète, plus intime, moins ravageuse mais travaillant en mode mineur le thème de la disparition et de la rupture, ce qui a son charme. Tout comme Ça raconte Sarah, ce recueil est séparé en deux parties par une simple page blanche, mais qui contient un abîme de douleur en même temps qu'une subtile ellipse. Première partie : Delabroy-Allard s'isole dans une maison prêtée par des amis. Elle écoute tous les jours un disque vinyle pioché dans la collection des habitants (qui va de Debussy à Sardou et de Nat King Cole aux Sex Pistols), le prend en photo dans des petites mises en scène légères, et écrit durant son écoute un petit poème pour noter son état, ses impressions, ses sentiments. C'est la moitié légère du recueil : sous l'influence de ces chansons, parfois savantes, parfois cucul-la-praline, Delabroy-Allard se laisse aller aux délices de la solitude, en gardant toujours en tête la présence de son amoureuse, qui viendra d'ailleurs faire un tour concrètement dans l’histoire. Les mots sont choisis pour être les plus lumineux possible, malgré quelques baisses de moral ; les souvenirs sont convoqués, ceux de l'enfance, ceux plus récents de l'amour ; et l'auteur réussit à merveille à exprimer l'immédiateté de ces refrains à deux balles qui vous envahissent subitement la tête, la métrique sophistiquée de Bach ou de Stravinsky, l'énergie rugueuse des Clash. Elle parvient ainsi à produire des poèmes directement connectés à la musique, et cette poésie simple se lit comme un roman, comme l'enregistrement des mouvements du cœur d'une femme amoureuse, pour ainsi dire. Les plus beaux sont ceux où les paroles elles-mêmes infiltrent l'écriture (c'est le cas avec la variété française, surtout), l'influencent et la transforment, prouvant ainsi l'adage qui dit que la musique est connectée en ligne directe avec le cœur.

Puis, après donc une page blanche, c'est la deuxième partie, différente, presque opposée, répondant comme en miroir à la première. L'amoureuse n'est plus, on le comprend confusément, et l'auteur s'enferme dans une autre maison. Finies les pochettes de disques, c'est maintenant aux plafonds que la dame s'intéresse. Des photos presque abstraites, donc, assez ternes, où affleure une tristesse de plus en plus profonde. En regard, les poèmes se font raides, empreints de douleur, et on imagine bien Delabroy-Allard allongée sur son lit et contemplant le vide de son plafond comme elle scrute le désespoir de sa vie. Le ton est à l'amertume, la nostalgie, la solitude, et cet exil, de volontaire qu'il était, passe à l'emprisonnement forcé, à l'image de son existence privée de l'autre. La maison est considérée comme une entité dans laquelle on s'enfonce comme dans un ventre pour échapper au monde, et si les souvenirs affleurent encore, c'est plutôt pour enregistrer le temps qui passe. Bref, c'est pas la joie... Le grand talent du livre, outre sa jolie construction, c'est de nous faire (re)lire cette histoire comme un roman, comme une obsession qui revient sans cesse (on pense parfois au dossier M de Bouiller), mais jamais réellement comme de la poésie : en tout cas, c'est une poésie ancrée dans la vie, et qui se veut romanesque. C'est aussi sa limite : Delabroy-Allard traite la poésie et ses règles comme un chiffon, si bien qu'on se demande parfois pourquoi elle a fait ce choix de la versification; versification d'ailleurs maladroite, qui handicape même la lecture plutôt que de l'aider. Écrire en vers est un exercice dont l'auteur n'a pas grand-chose à foutre, et c'est dommage. Parce qu'on sent bien que derrière le flou artistique de ces phrases il y a le grand écrivain qu'on a aimé, et que celui-ci est un peu étouffé par le dispositif. Quoi qu'il en soit, un joli petit livre de la joie et de la douleur.

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