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REALISATEURS
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3 février 2021

La Nuée de Just Philippot - 2021

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Pas mal du tout, cette petite incursion hexagonale dans les domaines du fantastique cronenbergien. Just Philippot, après un court-métrage remarqué, poursuit sa réflexion sur les dangers des bouleversements génétiques dans le domaine de l'agriculture, et parvient du coup à fabriquer un hybride entre Depardon et La Mouche, excusez du peu. Les deux pieds dans le purin, il commence son film dans une veine réaliste rurale : Virginie élève des sauterelles dans sa ferme 2.0, celles-ci devant servir à fabriquer de nouvelles farines animales pour le bétail. Mais ça ne paye pas, et la belle s'enfonce dans les dettes, d'autant qu'elle élève seule deux adolescents peu inspirés par son activité. Il va donc falloir qu'elle multiplie son rendement. Ayant remarqué que ses bestiaux ont un goût prononcé pour le sang, qui les fait grossir façon hormones, elle n'y réfléchit pas à deux fois avant de sacrifier son corps à l’appétit insatiable des insectes : sucée et malaxée par les mandibules des sauterelles de plus en plus avides et de plus en plus dangereuses, elle ne parviendra pas à endiguer la folie destructrice des monstres qu'elle a elle-même créé. On ne titille pas la nature sans y laisser quelques plumes, et le chien du voisin, puis le voisin, puis sa propre famille vont le découvrir dans le sang.

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J'adore ces thrillers horrifiques qui parviennent à parler du monde contemporain tout en vous balançant du spectacle. Côté politique, Philippot se montre assez pertinent dans son abord du monde agricole délétère d'aujourd'hui, qui croule sous les dettes et du coup est tenté par la chimie moderne. Le seul tort de Virginie, c'est de ne pas baisser les bras, de vouloir coûte que coûte sauver son exploitation, montrer qu'elle avait raison. On la voit donc d'abord flirter avec la loi (son échange commercial avec un exploitant peu amène a tout du deal interlope), puis peu à peu céder aux sirènes de la manipulation génétique. Elle est même prête à se donner corps et bien dans l'expérience : les images les plus spectaculaires sont celles où elle s'offre à la voracité de ses insectes, le sang offert, se sacrifiant aux bêtes. Que celles-ci ne soient pas le bétail habituel, mais des sauterelles, avec ce que ça draine de bizarreries et de dégoût, ajoute au côté glauque de la chose. Il y a quelques images traumatiques qui vous rentrent dans le cortex directement, marque des grands films d'horreur : ce corps nu recouvert d'insectes crissant, les sauterelles s'écrasant sur le toit d'une barque façon Birds d'Hitchcock (référence évidente), ce bruit incessant et strident qui envahit tout le film...L'horreur vient du petit quotidien, en plein soleil, sans gros effets et sans geysers de sang, mais monte doucement, et on se retrouve sur les nerfs par la simple utilisation du son et de la suggestion, par le dégoût que Philippot cultive avec une maîtrise parfaite (on songe souvent à Grave dans cette façon d'utiliser le monde actuel pour en faire un motif d'horreur, et dans le goût pour la répulsion plus que pour l'horrifique pur).

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Philippot ne cède jamais aux sirènes du gore ou du surnaturel : tout se passe dans le réalisme total, dans une tradition française respectée à la lettre. C'est juste l'étrangeté de ces insectes, filmés souvent en très gros plan pour en augmenter l'altérité, qui fabrique le fantasme du spectateur, son rejet, alors qu'il ne voit bien souvent qu'une nuée et qu'il n'entend la plupart du temps que des crissements d'ailes. La fin est malheureusement pas à la hauteur de la lente montée en puissance du film : les sauterelles sont décimées en deux-deux, on est un peu déçu, et on aurait bien aimé voir cette femme et sa famille traquées jusque dans les petits recoins de sa ferme par ces mini-monstres volants. Mais à part ça, on applaudit devant la maîtrise formelle du film, très joliment mis en scène, par sa construction très lente et minutieuse, par sa tenue, et par sa direction d'acteurs impressionnante : cette Suliane Brahim est vraiment une héroïne forte et crédible, son amant frustré Sofian Khammes est un magnifique mélange de fragilité et de puissance (et est doté d'une gueule de cinéma qui devrait lui valoir une belle carrière).

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