Neige de Juliet Berto & Jean-Henri Roger - 1981
Voilà un film qui fleure bon le Paris des années 80, aussi modeste que satisfaisant pour le cœur, même si son absence de prétention en fait finalement un simple objet sympathique. Juliet Berto et son mari Jean-Henri Roger plantent leur caméra au beau milieu de Pigalle, et laissent plus ou moins tourner, raccrochant les wagons par un scénario ténu. L'important est de rendre compte de la vie de ce quartier rempli de jeunes gens interlopes, de trans drogués jusqu'aux cheveux, de teupu au grand cœur, de flics à l'ancienne et de toute une faune colorée, et de rapporter un témoignage plein de vie de l'effervescence de ces années-là. C'est réussi : le mélange entre comédiens confirmés et figurants amateurs (la plupart du temps même pas au jus qu'un film se tourne) s'avère payant, et la vie de Pigalle apparait dans tout son triste pittoresque, des petits bistrots à flippers aux boîtes de culs crasseuses, des petits magasins aux trottoirs humides, d'autant que les cinéastes font le choix de ne filmer aucune scène en intérieur "privé" (sauf une), et rendent le film à la rue, aux gens qui l'ont fait. Tout ça tient par la grâce d'une minuscule histoire : un dealer trop grande gueule, des flics à ses trousses, une bavure, et tout le quartier qui réagit à sa mort ; surtout les trois personnages principaux : Anita (Berto), barmaid, veut trouver la drogue qu'il faut à un ancien client désespéré ; Willy (Stévenin) la protège amoureusement ; Jocko (Robert Liensol), prêtre chelou mais généreux, sillonne le quartier pour dénicher les 100 grammes qui manquent.
On croyait le cinéma réaliste poétique mort avec Prévert et Carné. Il y en a encore des restes dans ce beau film très attaché aux gens, et à ce que la vie batte à l'écran. Quitte à être maladroit : le montage de Yann Dédet est un peu borgnole, malgré le respect dû au bonhomme, les regards-caméra des figurants légion, et tout ne se vaut pas dans le film, trop long et parfois très transparent. Les défauts font partie du projet, dirais-je, et peu importe que tel plan soit bancal ou que tel comédien joue faux, tant qu'on a là un portrait tout cru et parfaitement crédible d'une communauté. A l'ancienne, Berto et Roger créent des personnages de marlous exotiques et marrants, en particulier celui de Stévenin, voyou comme on n'en fat plus, maladroit dans ses élans amoureux et très attachant. Tout ça se joue sous les chansons viriles de Lavilliers, et avec le plaisir de retrouver quelques tronches du cinéma (Balmer, Chesnais, Bussières, Constantine). Un vrai plaisir sans façon, un tout petit film qui se déguste avec la nostalgie de rigueur.