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1 septembre 2020

LIVRE : Le Coeur synthétique de Chloé Delaume - 2020

9782021425451,0-6731080Regardez les quatrièmes de couverture des livres écrits par des femmes en cette rentrée 2020 : il semble bien que toutes aient choisi comme sujet la Femme et ses difficultés à l'être, ces salopiots de mecs qui les empêchent d'être libres, et la nécessaire bataille qu'il faut leur livrer pour enfin atteindre l'égalité. Bon, il faut croire que c'est un combat urgent, vu que toutes s'y mettent. Allons-y donc pour la lutte des sexes et commençons par le plus décomplexé des romans, qui sait traiter avec humour le sujet sans tout de suite lâcher les chiens : Le Coeur synthétique de Chloé Delaume, auteur pourtant pas particulièrement connue pour mettre de l'eau dans son vin et pratiquer la nuance. Curieusement ça fonctionne parfaitement. La dame sait parler des femmes sans vouer les hommes aux gémonies, sait être polémique sans être excessive, bref sait adopter la bonne distance par rapport à son sujet, ni trop loin (le livre est clairement autobiographique) ni trop près (l'humour et la fiction apportent la distance et la dés-hystérisation nécessaires).

Adélaïde a 46 ans, et se retrouve sur le marché du célibat après une rupture. Terrifiée par la solitude, elle veut à tout prix rencontrer un homme, si possible beau, intelligent, attentif, riche, honnête, mais tant pis sinon. Elle croit dénicher son "Vladimir", fantasme qu'elle s'est créé, dans chaque sourire, chaque parole échangée, chaque marque d'intérêt des hommes qu'elle croise. Mais la désillusion guette, et il faut bien qu'elle croit les statistiques : "Il y a plus de femmes que d'hommes, et ils meurent en premier." En attendant, elle pleure, caresse son chat et effectue un travail de plus en plus absurde dans une maison d'édition en difficulté, reprise par un trust bien décidé à envoyer la littérature aux orties et à publier du bankable (la sortie de "Histoire(s) de fromages" est annoncée). Delaume raconte cette tranche de vie pathétique avec empathie, certes, mais aussi avec une cruauté terrible. Du coup, on est à la fois touché par ce caractère féminin éternellement fleur bleue et inassouvi, et hilare devant ces pauvres tentatives de drague perdue d'avance. Delaume travaille réellement le personnage de la femme d'aujourd'hui, rendue figée devant les injonctions de normalité qui l'entourent, hébétée devant le grand marché de l'Amour qui laisse plus d'une femme sur le côté, d'autant plus si elle est quarantenaire, intellectuelle et libérée. En parallèle avec ce portrait acide et très drôle, le roman en dresse un autre tout aussi corrosif, celui du petit monde de l'édition, avec ses courses aux prix, ses egos d'auteur et ses échecs injustes. Peu à peu, la superficialité de cet univers vient croiser celle du premier thème (la femme seule), et les deux se mélangent en un subtil portrait à charge de notre société marchande, où tout se monnaye, littérature et corps, dignité et sexe. Delaume réussit le tour de force de traiter le sujet sans tomber dans les poncifs, et d'intéresser aussi bien son public féminin, qui se retrouvera facilement dans la pauvre Adélaïde, que son public masculin, qui se reconnaitra tout autant dans cette quête éperdue de l'amour. On est frappé par la tristesse qui se dégage de tout ça finalement, parce que l'écriture de Delaume, si elle est souvent enlevée et caustique, sait se faire douce comme un poème, notamment dans ses fins de chapitre, avec ces élégies mélancoliques sur le sort de l'héroïne très joliment tournées, et qui usent même parfois d'alexandrins cachés dont on aime la rythmique. Pas le livre le plus tonitruant de la rentrée, il n'aura pas beaucoup de papiers dans les journaux, il ne remportera pas le Goncourt, mais il est touchant, sensible et drôle.

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