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9 juin 2020

LIVRE : Vie et Mort de l'homme qui tua John F. Kennedy d'Anne-James Chaton - 2020

9782818047705,0-6386484Quiconque a déjà vu une performance d'Anne-James Chaton connaît la passion du garçon pour les faits et les chiffres, sait sa volonté légèrement inquiétante de "classer" scientifiquement les éléments du monde pour en chercher la logique (ou l'illogique). Vie et Mort de l'homme qui tua John F. Kennedy s'inscrit donc totalement dans la suite de ce travail, et constitue un nouveau témoignage de l'esprit hyper rationnel de son auteur, ainsi que de sa tendance à fabriquer une poésie froide, scientifique, dépourvue d'affect. Tout est dans le titre : voici un relevé concret des faits et gestes accomplis par Lee Harvey Oswald depuis sa naissance jusqu'au jour fatidique où il reçut une bastos dans le buffet, en passant par ses problèmes de couple, ses accointances louches avec le communisme russe et la révolution cubaine, et le moment traumatique où il flingua un président à Dallas devant une nation terrifiée. Une biographie, quoi, ni plus ni moins, mais d'où toute pensée critique, toute tentative de compréhension du personnage, toute donnée psychologique sont absentes. Dans une écriture rapide, nerveuse, serrée, qui ne s'embarrasse pas de fioritures littéraires, Chaton ne fait que nous montrer une vie, chronologiquement, factuellement ; à nous d'interpréter ce qui se cache derrière, de comprendre les motivations et le caractère de ce type mystérieux, mythomane à ses heures, obnubilé par l'injustice sociale (mais se vautrant dedans dès qu'il en a l'occasion), rempli de contradictions, enfant mal-aimé et époux violent, qui finit par tuer Kennedy presque par défaut, alors qu'on a presque l'impression qu'il aurait pu faire l'inverse le lendemain. La rigueur du livre impressionne : jamais Chaton ne lâche la moindre émotion, retenant tout pour ne nous donner que la substantifique moelle de cette vie pathétique. L'objet est du coup très froid, tranchant et étrange, et sa lecture pourra rebuter les lecteurs à l'affût d'une explication au geste, voire d'une théorie du complot. La seule concession que Chaton fait au désordre du réel, ce sont les témoignages directs des témoins, procès verbaux de proches, de témoins, de flics, d'enquêteurs, écrits en discours direct, et qui donne un peu d'humanité au sein de ce texte rigoriste : l'humain prend la parole, et c'est alors l'écriture elle-même qui en est bouleversée, qui sort de ses gonds, qui devient vivante (les paragraphes ne sont d'ailleurs plus alignés dans la page). Cette alternance d'objectivité et de subjectivité transforme ce texte qui aurait pu n'être que plat en curieuse expérimentation, en voyage intérieur/extérieur éprouvant mais payant : Chaton réussit là un roman très moderne, qui réfléchit par le biais d'un personnage ambigu et mystérieux aux pouvoirs de l'écriture, au poids de l'existence, à la puissance des faits. Qu'il soit en plus passionnant dans le fond (on apprend plein de trucs) est un plus. J'aime.

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