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24 juillet 2019

Daniel Darc : Pieces of My Life de Marc Dufaud et Thierry Villeneuve - 2019

"- Punk ? - Mort.
- Rock'n roll ? - Punk.
- Daniel Darc ? - ... Mmmm, peut-être moi... ouais..."

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Ah vous me voyez tout bouleversifié par ce docu magnifique consacré au plus génial des chanteurs déglingués, ce fameux Daniel Darc qui vécut et mourut en secret et nous offrit quelques-uns des plus beaux albums désespérés de ce début de millénaire. J'avoue mal connaître la vie du gars, et m'être penché sur le film dans l'espoir d'y voir plus clair. Mais Dufaud et Villeneuve ne mangent pas de ce pain-là, ne font pas dans le sage documentaire pour deuxième partie de soirée de France 3. Ils balancent aux orties la biographie, les images d'enfance, les dates, la chronologie, les anecdotes édifiantes du tonton René, et on n'apprendra pas grand-chose sur les différentes étapes de la carrière de Darc, si ce n'est par la bande, presque en passant. A la place, on aura droit à un vrai film poétique et impressionniste sur le gars, succession de flashes, d'images, d'éclairs qui tentent de mettre à jour une personnalité, ou plutôt le rapport de cette personnalité au monde et aux réalisateurs. Et je dois reconnaître que j'ai trouvé dans ce film beaucoup plus que ce que j'attendais, en tout cas beaucoup plus que ce que la simple fiche wikipedia de Darc n'aurait pu me donner : le rapport frontal avec Darc.

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Voici donc un portrait en coupe de l'artiste allumé, drogué jusqu'aux oreilles, alcoolique fini, poseur et crâneur comme c'est pas permis, et génial parolier de sa propre misère. Dufaud et Villeneuve remontent leurs propres images d'archives (le film emprunte à d'autres docus réalisés par les gusses dans le passé), pour tenter d'extirper une image de leur ami. Car, fait important, Darc était leur ami, ils ont fait partie de l'équipée sauvage des années punk français des 80's, ont suivi la dérive, n'ont jamais quitté le navire malgré les excès. C'est ce rapport avec Darc qui fabrique toute la qualité du film. Darc s'adresse à eux en frère, en être humain, sans aucune frontière médiatique : il est parfois frimeur, parfois douteux dans ses paroles, mais toujours sincère, et très souvent profondément émouvant. Quand il annone quelques mots dans son brouillard éthylique, ou quand il pose son sourire suite à une de ses sorties nihilistes, ou quand on le voit créer ses chansons boiteuses et mal-aimables, ou quand il réfléchit lucidement à son passé, à ses amis, à ses amours, il atteint une profondeur et une fragilité bouleversantes.

Daniel-Darc-Pieces-Of-My-Life-4

Et puis et surtout il y a ces images magnifiques de déambulation dans Paris, ville qui semble être un prolongement de Darc, un personnage principal du film. On imagine les kilomètres de rushes dans lesquels les deux cinéastes ont dû patauger avant de sortir cette heure et demi de quintessence. On y voit Darc en concert, déclafté et brumeux ; on le voit danser comme un fou dans les rues (un couple change prudemment de trottoir) ; on le voit répéter des textes abscons et bégayants sur de pauvres instruments (son saxophone-jouet est un enfer pour les oreilles) ; on le voit poser dans ses clips de Taxi Girl au garçon romantique ; on le voit évoquer les bagarres, les drogues, les soirées avinées, les potes morts... Le travail de montage est magnifique, surtout que ces images sont mises en regard avec des témoignages de gens qui ont bossé avec lui et qui évitent toute complaisance ou toute hagiographie : le guitariste ami qui évoque la fraternité tapageuse qui les liait ou Frédéric Lo qui se souvient de la difficulté à accoucher de Crève-Coeur et sa gène par rapport au disque, ou Dufaud lui-même qui reconnaît les limites de son amitié, son désarroi par rapport à la récente popularité de Darc, sont autant de témoignages qui apparaissent d'une totale sincérité. Peut-être les deux gars ont-ils un peu trop le nez dedans pour retranscrire exactement toute les ambivalences du personnage (j'ai personnellement le souvenir d'un concert de Darc qui était une pure horreur, et d'un autre magique) ; mais ils ont au moins l'honnêteté rare de ne pas faire un portrait angélique et de donner à voir un être humain dans son plus simple appareil. Un film personnel, amical, fasciné, respectueux, forcément parcellaire et magnifique : incontournable.

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