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14 avril 2019

L'Île au Trésor de Guillaume Brac - 2018

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Filmer le bonheur est une entreprise à haut risque, tant la mièvrerie peut facilement vous tomber dessus ou le sentimentalisme vous bouffer. Le bonheur est pourtant le sujet central de L'Île au Trésor, qui réussit totalement l'exercice. Tel un Wiseman lumineux, Brac "s'enferme" à ciel ouvert, le temps d'une saison, dans un complexe de loisirs en banlieue parisienne : étangs, pédalos, toboggans, baraques à frites, tout y est pour apporter de la joie à la population bigarrée qui vient s'y baigner, s'y détendre ou draguer de la poulette. Ces gens, colorés et variés à en donner une syncope à Le Pen, se côtoient le temps d'un été, et le doc cherche à rendre cette impression de temps volé en-dehors de la vie, entièrement consacré à la badinerie entre sexes et au farniente. Premier constat : le film enregistre avec panache ce passage du temps, en ne cherchant pas l'anecdote à tout prix, en laissant tourner sur les moments creux, sur les simples journées passées à glander. Ce qui n'empêche pas Brac de choisir quelques personnages hauts en couleur, mômes resquilleurs, ados à tchatche, vigiles ou directeurs de parc, qui reviennent de temps en temps dans le film comme des héros.

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L'impression qui s'en dégage, donc, c'est le bonheur. Un bonheur simple, une façon de vivre ensemble sans heurts. L'intégration, le cosmopolitisme, pour Brac, ça se passe bien, et les seuls évènements négatifs qu'il enregistre appartiennent au passé (l'histoire souvent douloureuse de quelques personnages) ou sont plutôt marrants : un ado qui s'éclate les couilles en faisant le malin avec une machine nautique, ou la pluie qui se met à balayer tout ça sur la fin. Le reste du temps, c'est lumineux : il y a un amour fou pour les gens dans ce regard bienveillant, joyeux, posé par le cinéaste sur cette faune qu'on range d'ordinaire dans les colonnes des journaux au rayon "faits divers et trafics de drogue". Les accidents, les pépins, voire les drames arrivent sûrement aussi souvent qu'à leur tour dans le parc, mais Brac ne les filme pas. Comme s'il voulait faire de ce lieu un endroit préservé de la violence de la vie, une sorte de Jardin d'Eden. Cette très belle lumière humaniste est symbolisée par un ado qui loue des pédalos et truande un peu la direction, conscient du côté éphémère de son job, et qui ne peut s'empêcher, hilare, une fille à chaque bras, la jeunesse irradiant de son corps, de s'exclamer "Putain, la vie est belle !". Oui, un jardin d'Eden, donc, où chacun tente de se jouer des tracés et des frontières : les mômes qui grugent pour rentrer sans payer, les ados qui flirtent avec les ponts interdits de plongeon, les kayakistes qui s'accaparent les spots interdits, tous semblent vouloir casser les plans du parc. L'île est d'ailleurs envisagée comme une carte, un plan, et ses dieux, directeurs tourmentés, enfermés eux dans leurs bureaux, sont justement là pour redéfinir les frontières, planter des caméras de surveillance, gérer les calendriers, interdire les resquilleurs...

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C'est sûrement le sens de ce titre stevensonien : les jeunes, puisque c'est surtout d'eux qu'il s'agit, s'accaparent l'île comme un lieu d'aventures, où il faut faire sa vie, s'amuser avec les dangers, découvrir ce qui se cache derrière les collines ou dans les "temples antiques" (une pyramide symbolique plantée au milieu de l'eau). Les héros "récurrents" sont deux frères, l'aîné guidant patiemment l'autre vers l'exploration du territoire, ponts, collines, plantes, et symbolisent à eux seuls l'aventure d'entrer dans ce parc. Dommage que le film, à une ou deux reprises, change de sujet pour s'intéresser à des biographies lointaines (un vigile sauvé de la guerre civile en Afrique, un Afghan miraculé), pratiquant le hors-sujet le temps de quelques minutes, peut-être pour justifier la durée du film. Ces petites maladresses empêchent L'ïle au Trésor d'atteindre au très grand. A part ces scènes, heureusement peu nombreuses, le regard de Brac est parfait sur cet endroit hors du temps, sur cette jeunesse qui vit, s'aime, plonge et crâne sous le soleil, sur la mixité sociale, et sur le fait que la vie peut être bougrement belle parfois. (Gols 10/09/18)

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Alors oui le bonheur capté le temps d'une tranchette, que dis-je, d'une tranchouillette de vie... Un bonheur d'ado ou de post-ado moderne (dragouiller et obtenir le Snapchat d'une chtite gonzesse un rien bécasse), un ersatz de bonheur (le vioque qui "a hébergé" dans son hôtel CINQ ETOILES une Croate de vingt ans "en tout bien tout honneur" - on n’en doute pas un instant et on s'en fout un peu aussi d'ailleurs), un bonheur volé de quelques secondes (sauter du ponts ou d'un pylône), un simple bonheur amical (les deux chtits frères blacks qui remportent le prix du craquounage mignonnet), un bonheur animal (le vieux qui siffle les cygnes et ça, putain, croyez-le ou non mais ça demande des années d'apprivoisement), des réfugiés contents de se réfugier à nouveau dans la nature (des passages en effet qui sortent un peu du cadre mais qui apportent aussi un peu de fond...), un bonheur au ptit bonheur la chance en cherchant à resquiller et à enfumer les gardiens des lieux (qu'il ne faut pas prendre pour des jambons, hein) : un parc aquatique de la grande banlieue qui accueille du monde, que dis-je, LE monde, dans la joie et l'allégresse le temps d'un été ensoleillé. Alors oui, c'est sympathique et léger, parfois mignon, parfois aussi sans doute un peu creux et sans grand intérêt - j'ai rien contre les cygnes, hein, mais franchement... (bon, je vis sous le soleil, c'est facile aussi de ne pas jouer les admirateurs béats de la météo estivale métropolitaine). Je dois admettre, à mon corps défendant, qu'une seule scène m'a franchement rendu hilare : celle où ce couillon de garçon ne parvient pas à maitriser cette putain de machine aquatique du "futur", qui le propulse dans l'air comme Superman et le fait retomber dans la flotte comme une merde... Là, j'avoue, j'ai ri comme on peut rire insolemment et bêtement le temps d'un été. Pour le reste, j'ai goûté ces tranchouillettes un peu du bout des lèvres tant elles sont finalement un peu trop rapidement expédiés, tant elles restent souvent un peu trop superficielles (voilà Jean-Paul qui ramasse les déchets - super) ; oui le bonheur est difficile à capter mais on ne capte ici malgré tout pas grand-chose non plus. Pour un grand blond beau gosse qui revient en fil rouge et qui sourit constamment de toutes ses dents (la vita e bella, pour lui, quoi qu'il fasse : même quand il lasse ses godasses, il n'en revient pas d'être en vie et d’en jouir), on n’a souvent que quelques miettes de personnages qui font trempette et qui racontent éventuellement leur petite anecdote pour montrer qu'ils existent (exception faite, of course, des deux réfugiés, qui ne sont pas partis de leur pays pour des raisons touristiques). Cela part d'un bon sentiment, c'est traité avec un petit côté bon enfant très agréable, oui c’est lumineux, mais l'ensemble reste quand même un peu court en bouche - m'en voudra pas le Brac pour autant, j’espère, je reste preneur de son petit ton tout aussi naturel qu’il parvient à avoir dans ses fictions. (Shang 15/04/19)

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Commentaires
M
Plutôt d'accord avec Shang, et pourtant j'habite pas au soleil (bon c'est pas Calais non plus). J'ai aimé tout de même cette séquence des deux frères à la chasse aux couleurs : la chute est très belle et donne à penser. <br /> <br /> A l'abordage et Un monde sans femmes (en y agrégeant le joli prologue du Naufragé) resteront pour moi les deux œuvres les mieux abouties de Brac.
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