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9 octobre 2018

LIVRE : Série noire de Bertrand Schefer - 2018

9782818045954,0-5171145Le fait divers est venu infiltrer discrètement la littérature depuis quelques années, et on a l'impression que plus personne ne peut faire un pet de travers sans que son funeste destin soit traduit en "docu-roman" dans les semaines qui suivent, que le dit destin soit pertinent ou non. Schefer nous arrive donc avec un bon vieux fait divers bien juteux ; l'enlèvement, dans les années 60, du "fils Peugeot", orchestré par une bande de malfrats du dimanche, qui se solda par plus de peur que de mal, mais que ce livre tend à rendre exemplaire. Exemplaire parce qu'archétypal d'un certain état de la société de l'époque, déjà saturée d'images cinématographiques, de légendes littéraires, et de motifs pop. Si bien que, c'est la thèse de Schefer, cette affaire pourrait bien être la première à s'inspirer directement de la fiction, en marquant le début du crime obéissant aux lois du spectacle. Les ravisseurs se sont en effet inspirés d'un roman de la Série Noire pour fomenter leur sale coup, recopiant même telle quelle une lettre de demande de rançon ; et ils ont mêlé à leur enlèvement pas mal de motifs glamour issus du cinéma (la pauvre Anna Karina fut même interrogée à l'époque), de la littérature ou de la jet-set de l'époque. Le livre questionne ainsi notre rapport à la fiction, et se demande en quoi elle peut influer sur la société jusqu'à déclencher des crimes. Comme une sorte de préfiguration de notre époque actuelle, où de plus en plus de fusillades, de meurtres et autres crimes sont fomentés en regard avec les jeux vidéo, les films de Tarantino ou les livres de Beckett (quoique plus rarement dans ce dernier cas).

Le livre, malgré ce sujet intéressant, s'avère pourtant un coup d'épée dans l'eau. Schefer, à force d'écriture tarabiscotée, de construction complexe, de style tordu, finit par saccager sa jolie idée, qui n'apparaît bientôt que comme une histoire parmi d'autres, pas très parlante finalement. Le récit est divisé en deux parties : dans la première, le gars aborde les faits de l'intérieur, vus par une jeune fille plus ou moins candide qui rencontre un des deux ravisseurs et en tombe amoureuse ; la deuxième reprend l'histoire à zéro, et raconte beaucoup plus calmement, dans un ton plus mesuré, les faits. Autant le reconnaître : je n'ai rien compris à la première. Schefer choisit une forme étrange, de très longues phrases sans respiration, pour raconter comme en apnée l'enchaînement des faits. Mais il faut être un grand écrivain pour jouer ainsi avec les ponctuations, les rythmes et les collages ; ce qu'il n'est de toute évidence pas. On se perd dans cette logorrhée trop sophistiquée, et comme on n'a pas toutes les clés en main en ce qui concerne cette affaire, on est vite largué par ce choix. La seconde est plus claire, mais laisse malheureusement apparaître le manque d'intérêt de cette histoire, pas plus emblématique qu'une autre. Les personnages, minets clinquants dans leurs grosses bagnoles, mannequins complices malgré eux, prolos et vagues escrocs rêvant du crime parfait, ne sont jamais envisagés humainement, mais par le seul biais de leur statut social (voire politique). Beaucoup de bruit pour rien, et fait avec un bon gros tambour qui plus est.  (Gols 30/08/18)


"Si elle se sent bafouée depuis longtemps, l’arrivée de Lise dont, comme elle le pense, la beauté éclipse beaucoup d’autres et dont on pourrait presque dire qu’il s’agit de concurrence déloyale, c’est dur à vivre pour elle, car ses sentiments, comme elle le dira pudiquement, n’étaient pas éteints, et tandis que Rolland s’enfonce dans la banqueroute avec une sombre affaire de commerce international d’appareils de musique et de radio, elle le voit débarquer à sa nouvelle adresse 10, rue Jouvenet, une petite artère près du boulevard Exelmans, fin mars 1960, dans un modeste logement qu’elle partage avec une amie, le visage défait, aux abois et en vertu des sentiments encore vivants dont elle parlera, elle accepte d’accorder à son ancien mari l’hospitalité pendant quelques jours et consent même à lui prêter, en plus de cette machine à écrire qu’il est venu lui emprunter, deux cent cinquante mille anciens francs sur l’argent que ses parents lui ont avancé pour monter son affaire commerciale, ce qui signifie aussi bien qu’à force de séduction Rolland a su faire habilement revivre quelque chose entre eux".

11476995-Si vous êtes parvenu à déclamer cette phrase sans vous étouffer, vous aurez peut-être une chance de venir à bout de la première partie de cette œuvre : dire que les phrases sont "tarabiscotées" est un euphémisme - rarement la syntaxe a été aussi malmenée et on aurait presque envie de dire au type : pour chaque phrase que tu as voulu écrire, tu m'en fais dix, le point n'étant pas un signe de ponctuation plus cher que les autres. Bref, on frémit souvent devant ce déferlement d'informations, de détails, de noms, de virgules, comme si Schefer, saturé d'avoir tout lu sur l'affaire, avait vomi cette première partie sans jamais l'avoir vraiment digérée. On comprend plus ou moins l'affaire mais, l'avalanche de détails nous empêche de respirer et de prendre un quelconque plaisir au déroulé des évènements (rendus chaotiques) et à la personnalité des individus (superficiellement évoqués au final) - Schefer aurait pu prendre des cours chez Philippe Jaenada, par exemple. Dans la seconde partie, c'est parti pour l'artillerie lourde cinématico-littéraro-crimino-sociétale avec du "beau monde" (plus ou moins de seconde zone) au portillon : Karina, donc, Kenneth Anger, un bouquin ricain de la série noire, des "mannequins", des strip-teaseuses, Françoise Sagan (pas facile d'interroger Sagan à l'époque, les narines pleines, elle fut comme aveugle à tout ce qui se passait autour d'elle), L'Histoire d'O... la fiction et la réalité ne cessent de se superposer, de s'influencer ; cela pourrait être un beau sujet mais à peine Schefer commence d'évoquer sa thèse qu'il n'y est déjà plus ; il semble en effet plus intéressé par l'envie de nous raconter sa petite enquête pour retrouver les traces de l'une des héroïnes (malgré elle) du récit que de chercher à tisser des liens plus tenus entre cette époque et l'influence de la fiction et de la culture américaine... Bien dommage de n’avoir pas pris plus de recul et de temps de réflexion sur un sujet qui en valait pour le coup la peine. Tout comme d’ailleurs le déroulement du procès dont il ne prend même pas la peine de nous donner la sentence (aucune « sentence » sur la peine, si on préfère) : il semble lui-même s'être finalement désintéressé de son histoire, se montrant plus apte à vouloir embrouiller les fils qu'à les démêler. Belle idée de départ mais une Série noire qui, fatalement, tombe un peu à plat - quant à la forme, on en vient à regretter la disparition du point-virgule... (Shang 09/10/18)

Commentaires
M
Limpide et coulant de source, cette phrase. Que vous lui reprochez que quoi? Chacun que il a sa façon de respirer dont. Ah que y en a qui ont les narines qui chuintent.... Ah que, là, ça chuinte pas du tout. Et puis, ah que les pronoms relatifs sont désormais trop méprisés pour ne pas être que très sympathiques . <br /> <br /> Dont acte que.
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