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14 mai 2016

Viva Zapata ! d'Elia Kazan - 1952

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On peut toujours compter sur Kazan pour mettre son grain de sel psychologisant et politisant dans les films de genre, et Viva Zapata ne sort pas du lot : voilà un solide film de spectacle, certes, mais qui se teinte d'une très grande modernité par le soin apporté au contexte social et psychologique de l'époque. En réalisant un western qui se passe au Mexique au début du XXème, Kazan parvient à parler avant tout des tourments de son temps, voire, si on veut chercher la petite bête, de ses propres conceptions politiques pas très valeureuses à l'époque.

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Le film se place du côté du peuple, le fantasmant en masse fraternelle se dressant contre l'opresseur au pouvoir. Très jolie première séquence : un groupe de paysans mexicains spoliés vient présenter ses doléances au président Diaz, qui renvoie avec condescendance ce petit monde à sa misère, quand le groupe se retire, un seul reste en place, dans une magnifique mise en scène qui extrait l'élément perturbateur de la masse : c'est Emiliano Zapata, petit mec qui va peu à peu devenir l'idole de toute une nation. Dès cette première scène, on sent la force et la dignité que le film va accorder aux prolos, et la subtilité parfaite avec laquelle il va traiter de la lutte des classes : Diaz n'est pas un monstre, juste un homme happé par le pouvoir : Zapata n'est pas un dieu, juste un petit gars révolté et qui ira au bout de sa révolte. Il en ira de même pour les différents présidents qui vont s'enchaîner, tous soucieux de leur tâche et pourtant tous gangrénés par leur puissance, pour les différents sbires de Zapata qui vont tous trahir leurs idéaux à un moment ou à un autre. Cette absence de manichéisme marquera tout le film : chaque personnage a sa lumière et ses zones d'ombres, du plus grand dictateur au plus petit homme de main de Zapata. Le personnage principal lui-même, campé avec animalité et intensité par le génial Brando, n'est jamais déifié : quand il atteindra le trône, il aura, lui aussi, à subir le vertige du pouvoir, et passera par les erreurs qu'il a lui-même condamnées. On pense souvent à cet humanisme à la Renoir, jamais angélique, toujours idéaliste, et qui sait prendre les gens dans toutes leurs complexités. Viva Zapata n'est pas qu'un film sur le héros mexicain ; c'est un film sur le pouvoir et sur les déviances qu'il déclenche. Tous les amis de Zapata passeront par la trahison, le doute, l'excès, et Kazan pointe avec beaucoup de force l'impossibilité de lutter contre la pente glissante du pouvoir.

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D'où le soupçon d'autobiographie qu'on sent derrière tout ça, bien sûr. En plein désamour suite à ses actions douteuses pendant le macarthysme, Kazan se justifie à travers ces personnages a priori loin de lui, et le film porte la marque de cette indignation, de cette tristesse. Mais ça reste presque anecdotique : importe beaucoup plus la grande attention, très touchante, que le cinéaste porte aux petites gens, à ce qui les lie autour de la figure charismatique du leader. Le sommet du film est cette séquence où, par une sorte de force d'inertie, une force de groupe qui se contente de bloquer passivement le chemin des gardes, tout un peuple sauve Zapata de l'emprisonnement : il y a une grande tendresse envers ces gens, qui passe aussi par la véracité des décors et la précision des seconds rôles. Kazan respecte l'endroit et les gens qu'il filme, même si la plupart des acteurs sont mexicains comme je suis suédois. L'histoire qu'il nous conte est pleine de dignité, pleines de lignes de force qui rappellent la tragédie grecque ; et pourtant le film reste au ras du sol, à hauteur d'homme, très pudiquement.

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La mise en scène ne manque pas pour autant de panache. En plus des scènes déjà dites, on peut citer l'assassinat d'Eufemio (Anthony Quinn, absolument génial), un jeu d'ombres et de lumières qui rappelle l'impressionnisme, d'une force incroyable ; ou la drolatique séquence où Zapata doit demander la main de sa belle (Jean Peters, absolument géniale), curieusement écrite uniquement en "dictons" populaires, tentative de quasi-abstraction qui surprend dans un film aussi réaliste ; ou encore la description de ces femmes qui se font tuer pour la cause, dans une scène d'attentat digne des meilleurs westerns, le réalisme et l'empathie en plus. Notons enfin que Brando est au-delà du génie dans son jeu, chacun de ses (rares) mots étant travaillé au millimètre, chacun des détails de son corps semblant avoir été réfléchi longuement, chaque trait de son visage (qu'il a maquillé un peu à la truelle quand même) exprimant une émotion différente. Entre le fauve et le singe, il porte une grande partie de la beauté du film sur ses épaules, c'est un bonheur total de le regarder bosser. On est là dans un grand film classique, habité, hyper pro, intense, fiévreux, engagé, et visuellement splendide.

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