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5 février 2011

LIVRE : Dino Egger d'Eric Chevillard - 2011

9782707321435Quelle douleur intime ronge donc notre ami Chevillard pour qu'il en revienne ainsi, inlassablement, au thème de l'impuissance, du manque, de l'échec ? Après Du Hérisson, après Le Démarcheur, après Le Caoutchouc décidément, bon, après la quasi-intégralité de son oeuvre consacrée à cette souffrance, voici Dino Egger, archétype de la chose : il s'agit de nous parler d'un génie qui n'est jamais né, et de décrire le monde tel qu'il est en l'absence de ce génie. S'il avait vu le jour, Dino aurait révolutionné le monde ; mais n'étant jamais apparu, le monde est tel qu'il est. On voit dès les premières pages la part de rage contenue dans ce livre : Chevillard est toujours à la recherche désespérée de son art, de la phrase juste, du génie. Ce roman n'est qu'une longue déclinaison sur les limites de l'écriture, sur la petitesse de son auteur (Albert Moindre, alter-ego de Chevillard lui-même), sur la soif de grandeur. Exercice de masochisme très ambivalent : d'un côté le livre est brillamment sophistiqué, de l'autre il décrit une impuissance, un manque. Ca va jusqu'à la thèse, assez morbide, que ce n'est pas Dino Egger qui manque au monde, mais Albert Moindre qui y est en trop. Sous ses airs de virtuosité conceptuelle, ce livre est un cri de douleur, pudique et troublant. C'est la grandeur de Chevillard de cacher les thèmes les plus sombres sous le clinquant d'une écriture richissime et ultra-travaillée.

Dommage que, cette fois, et comme ça lui est arrivé parfois par le passé, l'écriture passe avant le thème. L'auteur s'enfonce progressivement dans une pure forme, trop complexe, trop satisfaite d'elle-même (c'est salaud), et la sincérité première finit ensevelie sous les tonnes de mots, de tournures amphigouriques, de sophistication extrême des formules. C'est souvent très brillant, très drôle, bien sûr : c'est du Chevillard, quand même. Mais c'est aussi, la plupart du temps, de la pure virtuosité, du jonglage un peu vain, qui finit par occulter la vraie beauté qu'on sentait poindre là-dedans : un homme qui crie son impuissance à dire les choses, qui pleure sa petitesse. On est littéralement étouffé sous le style, assommé par cette écriture trop riche. Après la splendeur lyrique de Choir, versant sombre de cette comédie de la vacuité, on aurait aimé que Chevillard cultive un peu plus ce côté beckettien et laisse tomber son savoir-faire, indéniable mais agaçant. Bref, qu'il nous touche plutôt que de nous impressionner. Il reste souvent, dans Dino Egger, des traces de vrai bonheur, comme ce journal intime hilarant à mi-parcours, ou ces dernières pages, ou cette liste des inventions possibles de Egger essaimées au cours du livre ; ce n'est pas assez pour faire entrer ce roman dans les grands Chevillard.

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