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6 février 2010

LIVRE : Choir d'Eric Chevillard - 2010

9782707320896Alors là, les enfants, on va faire simple : Choir est le meilleur livre de Chevillard à ce jour, et pourtant le gars n'est pas avare en grandes oeuvres. Je pensais personellement que Sans l'Orang-Outan resterait sa pierre de touche, son chef-d'oeuvre ; je me trompais. Voilà un récit absolument génial de bout en bout, qui convoque tout ce que j'aime dans la littérature : du style (et quel !), du tragique, un regard sur le monde, un réel travail sur l'écriture, le sens de la tragédie et de la farce qui se mêlent étroitement...

Difficile de décrire l'enthousiasme éprouvé à lire ces lignes parfaites. Choir, c'est une affaire de style, de ton. Dans le sujet, on est souvent proche de la science-fiction, dans ce côté apocalyptique, nihiliste, post-nucléaire, disons. Le narrateur fait la chronique de la vie à Choir, île perdue au milieu du monde, véritable condensé de toutes les misères possibles. Les habitants y sont égoïstes, violents, jaloux, désespérés, cannibales, incestueux, sadiques, mesquins, leurs seuls loisirs consistant à faire le plus de mal possible au voisin, et à attendre le retour improbable d'Illinuk, Messie légendaire qui seul a pu un jour s'évader de l'île. Chaque paragraphe (le livre est constitué d'une suite de courts motifs, un peu comme L'Autofictif) constitue une nouvelle raison de s'affliger devant cette misérable vie des habitants de Choir : Chevillard attaque par tous les angles, les rapports humains, la géographie, la faune, la religion, le travail, les fêtes, etc., avec à chaque fois une façon de boucher complètement l'horizon. Tout est noir et désespéré, sans évasion possible ; si on parle d'amour, c'est pour en montrer l'inanité, si on parle d'espoir, c'est pour s'en moquer.

Sujet déjà formidable, qui parvient à être souvent hilarant alors qu'on est dans la pure tragédie. Mais, comme je le disais, c'est l'écriture-même qui constitue le sujet principal de Choir : pour le coup, l'imagination déjà sidérante de Chevillard est ici à son summum. Le style est complexe, recherché, riche jusqu'à l'insensé parfois. En quelques lignes, il parvient à glacer les os par sa concision, concision qui pourtant emprunte des voies très sophistiquées. Pourtant, jamais Chevillard ne tombe dans le vain exercice de style, écueil dans lequel il a pu lui arriver de tomber jadis : on est sans cesse étonné par la sincérité qui émane de ces lignes, par ce goût du désespoir, du ricanement, de la détresse. Bouleversant, Choir l'est comme un roman de Beckett, référence évidente et qui prend ici tout son sens. Chevillard a lu Beckett, mais ne le cite pas béatement : il invente une autre langue, une autre façon de condamner irrémédiablement le monde et la société. Il y a aussi beaucoup de Michaux là-dedans, dans ces descriptions ethnographiques d'un peuple entièrement inventé, avec ses codes, son vocaulaire, ses rites. Les habitants de Choir sont d'une troublante vérité, peut-être parce qu'ils ressemblent simplement au monde des Humains dans son ensemble. C'est ça qui est le plus beau dans ce roman : une manière de faire de la métaphysique par le petit bout de la lorgnette, par la longue description d'un quotidien.

Entre ces paragraphes "descriptifs" (mais sincèrement, c'est les amoindrir que de leur affubler cet adjectif), le roman décline tout un style tragique, au sens antique du terme, fait de longues suppliques, de récits épiques, de décrochages poétiques absolument énormes. Quand on ferme le livre, sur ces dernières pages bluffantes d'invention, on a vraiment l'impression d'avoir touché à quelque chose d'unique, une voix hyper-originale, une imagination insensée, un sens de l'écriture inouï. Chevillard est très très grand, et je vous supplie de cesser immédiatement de faire ce que vous faites pour vous précipiter sur ce chef-d'oeuvre au génie inversement proportionnel à son titre.

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