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10 janvier 2009

LIVRE : Sans l'Orang-Outan d'Eric Chevillard - 2007

Sans_titreEncore un livre hors de toute référence pour ce brave Eric Chevillard, qui continue inlassablement à tracer son chemin qui ne mène pas à Rome. Au fur et à mesure de ses bouquins, le compère affine même son écriture de façon redoutable, et ce Sans l'Orang-Outan devrait faire exploser de joie tout tenant du Style dans la grande tradition du terme.

Dans le fond, on est quand même dans la folie pure. Le livre commence avec la mort des deux derniers orang-outans, l'espèce a disparu. Après une première partie consacrée à l'éloge de cet animal indispensable (émouvantes phrases très "anthropologiques", qui parviennent à être scientifique et sentimentales en même temps), le roman dévie brusquement vers la description du monde futur privé d'orang-outans : tout y est désolation, désespoir, les hommes ayant perdu tout sentiment et tout espoir face à la disparition du singe. C'est la partie la plus dévastatrice : ces 60 pages, empreintes d'une tristesse d'autant plus incroyable qu'on ne l'attendait pas dans un livre a priori comique, sont sidérantes. Le monde en déréliction décrit par Chevillard rappellent les grandes visions science-fictionnelles d'un Lovecraft, et réussissent aussi à évoquer une poésie à la Beckett, morbide, drôle à force de grimaces sarcastiques, totalement privée de lumière et d'espoir. Là, on touche quelque chose de bouleversant, de puissamment macabre, et on n'attendait pas l'auteur de La Nébuleuse du Crabe ici. La troisième partie le voit d'ailleurs revenir à ses anciennes amours, l'absurde drôlatique, avec cette tentative des humains de devenir orang-outans.

Dire que ce livre est bien écrit prouve bien l'impuissance des mots. Sans l'Orang-Outan est un festival littéraire, qui brasserait en même temps la préciosité du XVIIIème siècle et la radicalité d'aujourd'hui. Les phrases de Chevillard, de plus en plus complexes, de plus en plus fouillées, tendent, à force de travail sur le mot et sur le rythme, à devenir beckettiennes : le langage tourne sur lui-même, et bientôt le "flot" est plus important que les mots eux-mêmes. On est aspiré comme par une bonde dans ce dédale opaque de figures de style, de ping-pong verbal, si bien que la trame pure devient secondaire. Le personnage principal de ce livre, c'est l'écriture elle-même, la prouesse acrobatique dont fait preuve Chevillard quand il s'agit de musique, de chocs de sens, de "coulée". Au risque de se perdre lui-même dans son propre labyrinthe, l'auteur est happé par la musique, par l'univers toujours aussi barjot issu de son cerveau déviant. Le roman n'évite pas toujours ça, et Chevillard n'est pas encore Beckett : à force de beauté de style, il se regarde parfois écrire, et au détour d'un paragraphe on peut constater que l'écriture tourne à vide, n'existe plus que pour elle-même. Mais malgré cette réserve, résultat d'une vraie prise de risque (rare de nos jours), Sans l'Orang-Outan est un exercice de style virtuose et impressionnant, qui se double d'un grand moment d'humour caustique et d'une profondeur presque métaphysique qui vous laisse sur le cul. Chevillard est grand.

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