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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
16 novembre 2009

Singularités d'une jeune Fille blonde (Singularidades de uma Rapariga Loura) (2009) de Manoel de Oliveira

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Pour ne point finir la semaine sur une note cinématographique lourdaude, le dernier opus de Manoel de Oliveira (100 ans, tout rond, au compteur à tel point que sur chaque travelling on craint un arrêt du coeur) est un conte moral d'une légèreté absolument jouissive. Si l'amour est aveugle, le spectateur - comme le personnage principal - l'est aussi, cherchant toujours à vouloir fantasmer sans voir la réalité... qui lui crève les yeux. Une entrée dans le film toute en douceur et en clins d'oeil avec ce contrôleur de train qui vérifie les tickets de tous les passagers/spectateurs du film (une femme tousse d'ailleurs, faiblement, comme s'il s'agissait d'une spectatrice juste derrière vous dans la salle - je ne me suis pas laissé prendre, j'étais dans mon salon le dos au mur). Un homme/metteur en scène, qui a comme une sorte de trop plein d'émotion à faire partager, s'adresse à la personne/spectatrice à ses côtés : il a un besoin absolu de lui raconter une histoire. Cette dernière, le regard dans le vide comme si elle était aveugle (c'est bien nous, prêts à écouter n'importe quelle histoire, sans forcément être à même d'en percer le mystère), l'empresse de commencer. Notre homme s'exécute et c'est parti pour une petite heure guillerette. On s'enfonce dans notre siège.

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L'histoire est simple, celle d'un jeune homme, comptable - le métier le plus terrible après... nan le métier le plus terrible - qui en regardant au travers de sa fenêtre voit apparaître une vieille dame juste en face, au premier étage : une vieille dame au profil digne dont il se plaît à imaginer à quoi elle devait ressembler dans sa 19143189jeunesse. Voilà justement une sublime jeune fille blonde qui prend sa place, comme une projection imaginaire de notre petit comptable, pense-t-on. Ah et pis non, la jeune fille existe bien (enfin le doute persiste quand même...): elle possède un éventail chinois à plumes (j'en avais jamais vu des comme ça, ce doit être du siècle dernier, facile) qu'elle agite comme pour attiser notre désir. Le petit comptable ne s'y trompe pas, il est déjà hypnotisé, elle lui lance en plus un sourire, la coquinette, il perd ses jambes. Il est amoureux, il est prêt à tout pour elle, il veut la rencontrer, demander sa main et pis... Bon t'emballes pas mon garçon, qu'on lui dit franco, seulement vous savez bien ce que c'est... Notre type la rencontre chez un amateur d'art (petite poésie de Fernando Pessoa contée en arrière-fond tout plein de sens...) et celle-ci l'entraîne dans une salle de jeu attenante. Notre type est sur un nuage et même si la partie est avortée un peu bizarrement, il s'en tape, il n'a d'yeux que pour elle. Il demande l'autorisation de se marier à son oncle (qui est également son employeur); celui-ci refuse catégoriquement : soit il se barre de son taff et fait ce qu'il veut, soit il continue tranquillement son boulot et reste célibataire (dur). Notre jeune homme se barre et connaîtra moult aventures avant d'avoir assez d'argent pour pouvoir décemment faire sa demande de mariage. La jeune fille est aux anges. Il pense avoir fait le plus, nous aussi. Mais les poupées de cire peuvent aussi se révéler des poupées de son (on connaît la chanson).

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C'est lumineux en diable, les cadres sont aux petits oignons, chaque petit détail du décor semble être savamment pensé pour rendre chaque image touchante (la chambre de bonne de notre héros, son petit lit, la couleur tristoune du mur, le simple motif des draps, le carré de lumière lorsque la porte s'ouvre - c'est presque rien mais l'image imprime la rétine), mais à trop vouloir se faire esthète en appréciant les apparences, on ferme parfois bêtement les yeux devant un événement de l'histoire plutôt curieux. De Oliveira nous mène en bateau - ou en train - comme son héros. Le voyage se termine, on a un petit sourire aux lèvres; c'est peut-être pas le plus grand film de l'histoire du cinéma, non, mais outre le fait qu'il s'agisse sans aucun doute du meilleur film d'un réalisateur âgé "d'un siècle", c'est aussi une oeuvre bouillonnante pleine du suc et de la vivacité de la jeunesse. De Oliveira : vert pomme, au paradis du cinoche.   (Shang - 11/10/09)


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Totalement sous le charme de ce tout petit film, qui, comme le disait mon éminent compère, n'est pas le film du siècle, mais ne s'en cache pas non plus. En tout cas, ce n'est pas le film de ce siècle : on dirait que Singularités d'une jeune Fille blonde a été réalisé avant l'invention du cinéma, que c'est le film qu'aurait fait Balzac ou Maupassant ou Gogol. A commencer par cette magnifique introduction qui ressemble à toutes les ouvertures des contes de Maupassant : un homme qui commence une histoire, un autre qui l'écoute avidement, puis hop flash-back, avec, comme dans les ouvertures d'opera, la fin tragique déjà annoncée dans les premières notes. Nous voici donc immergé dans cette histoire, et mon collègue a très justement remarqué cette proximité entre l'"écoutante" et le public du film : cette thématique sera déclinée dans les plans suivants, qui nous montrent le héros face à un écran (la façade d'en face), subjugué par l'image fantasmatique qui s'y projette. Très curieux trouble quand la vieille femme apparaît à la fenêtre, sur fond de tableau ancien, remplacée par cette mystérieuse jeune fille : on ne sait pas de qui parle la voix off amoureuse du héros, depuis quelle génération il se place. Les trois derniers siècles sont filmés en un seul plan : le XIXème et ses motifs précieux (on pense aussi à Lorca ou à Mérimée), le XXème et sa grisaille urbaine, le XXIème et sa jeunesse aguicheuse. On croit que la vieille va servir de duègne à cette Carmen contemporaine, mais de Oliveira renverse les sexes : c'est l'oncle du héros qui va être le facheux de l'affaire, dans une succession de scènes parfaites dans leur imagerie d'Epinal (le fils banni, puis prodigue).

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Dès l'apparition de la jeune fille à sa fenêtre, on sent le problème : c'est que, avec une simplicité, voire une naïveté touchantes, de Oliveira utilise les motifs les plus simples qui soient pour nous montrer son inadaptation. Dans le cadre rectangulaire de l'écran de cinéma, il place systématiquement des cadres en angles droits : fenêtres, portes, perspectives savantes qui montrent murs, plafonds et sol dans le même angle large, et jusqu'aux personnages masculins, étonnamment raides. Seul le petit éventail chinois de la fille, tout rond, vient heurter l'oeil. Il ne rentre pas dans le film, tout simplement, et sa propriétaire avec, comme ces jeux de construction mal utilisés par les mômes, où on tente de faire entrer des ronds dans des carrés. Le sens du cadre, la composition des plans est impeccable : de Oliveira ne démord jamais de cette rigueur toute en lignes droites, l'arrière-plan servant souvent de subtile symbolique à l'enfermement du personnage principal. Dans cette petite vie bien réglée par les conventions (il faut avoir de l'argent pour se marier, la vie de comptable est tout sauf circulaire), le jeune fille blonde va trancher, commettant l'acte impur qu'on attendait. Son affalement final (on dirait du Pina Bausch) nous la montre irrémédiablement plongée dans ce monde angulaire (les coussins, quelle merveille !), déjà morte, et c'est ravageur.

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C'est magnifiquement émouvant de voir ce vieux bonhomme nous livrer un film de 150 ans en commettant un acte aussi moderne, mélange de fable morale à la Rivette et de rigueur mathématique fin de siècle. Le film est simplissime dans son déroulement, mais très bien tenu, intelligent, d'une forme très pensée. Visuellement, c'est un pur enchantement ; dramatiquement, ça nous replonge dans ces lectures classiques si précieuses. Un bien bel objet tout de modestie. Pas le film du siècle, mais un des films de l'année, pour sûr.   (Gols - 16/11/09)

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