Just Pals de John Ford - 1920

Un tout petit bonheur de rien du tout que ce film adorable de Ford. En 49 minutes de temps, le bougre, sur un rythme absolument trépidant, parvient à cumuler le film d'aventures, la chronique rurale, la bluette sentimentale, le mélodrame, la comédie pure, avec même ça et là quelques restes de westerns. Tout tourne autour de la rencontre entre deux rejetés : un brave type qui passe son temps à pioncer dans le foin, à la grande indignation des dames patronesses et des travailleurs du coin ; et un kid clochard, crasseux et bagarreur. Ces deux-là se promènent dans ce film lumineux, croisant jeunes filles en fleurs, cow-boys méchants, enfants moqueurs et bougeois à la Thénardier. Incroyable de voir le nombre de mésaventures qui se déroule dans un aussi court film, le tout sans jamais qu'on soit perdu, avec une homogénéité et un sens de la narration imparables : les différents personnages, les différentes trames s'imbriquent magiquement les uns dans les autres, pour culminer dans un final qui réunit toutes ces pistes en une seule, toute simple : la camaraderie de deux "border-line".

Pendant la plus grande partie du film, on tremble de voir ce fragile équilibre s'effondrer, surtout qu'on connaît Ford quand il s'agit de fabriquer des fins de films conventionnelles et réactionnaires. On est donc ravi quand on constate qu'il conserve à ses deux personnages leur insolence jusqu'au bout : soudain riche, le héros ne devient pas un citoyen sérieux et laborieux, mais profite juste de son fric pour faire des siestes plus moelleuses dans des lits bourgeois. Le Ford de droite s'efface devant la beauté simplissime de ses petits personnages parias, et on lui en est reconnaissant. Comme un brouillon du Kid de Chaplin, mais avec un style bien à lui (qui évite la plupart du temps le pathos, qui préfère montrer des réactions gentillettes des acteurs plutôt que de monter des gags), Just Pals parle sans esbroufe de l'enfance, de la différence, de la lutte des classes, le tout dans un rythme échevelé admirable. C'est mignon comme tout, et de plus très bien interprété par l'ensemble de la distribution, des rôles les plus importants (Buck Jones, une belle palette d'expressions dans une sobriété qui force le respect) aux plus petits (une fillette tête à claque sosie d'Amélie Nothomb, un sherif centenaire). Un plaisir de douceur.