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Shangols
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27 avril 2019

Mon Oncle (1958) de Jacques Tati

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Quelques grammes de Hulot dans ce monde moderne, c'est toujours bon à prendre. Que dire encore sur Mon Oncle qui n'ait pas été dit ? Le grand Jacques et sa pipe (il fume et vous emmerde, poliment) trimballe sa carcasse dégingandée d'un petit bourg de village agonisant au "jardin" caillouteux tiré au cordeau de sa soeur et de son gros ponte de mari. Le village, avec ses discussions infinies qui riment à rien mais permettent à tout le monde de donner son avis sur tout, les canons que l'on boit au bar du coin, semble vivre ses dernières heures; on ne ressent point pour autant chez Tati de vision passéiste, conservatrice : le monde du tout électrique est en marche, il risque non seulement d'asservir les gens plutôt que de les libérer et surtout de les isoler, comme si chacun se devait dorénavant de protéger ses petits biens personnels. C'est comme ça, tout simplement. Le temps où les chiens pouvaient vagabonder tout leur saoul dans le village ne devrait lui non plus pas tarder à disparaître, ces longs plans sur ces chiens batifolant semblant en effet vouloir nous faire prendre conscience que le temps de toutes les libertés sera bientôt révolu (enfin, ce n'est peut-être qu'une impression personnelle...). Un monde modernisé ultra-bruyant (le couple qui tour à tour ne peut échanger le moindre mot quand chacun vaque à ses occupations (cuisine pour Madame, rasage pour Monsieur), un monde mécanisé à l'extrême sans respect pour la pauvre personne humaine (le portail qui se referme à chaque fois pratiquement dans ta gueule), un monde tellement réglé qu'il est difficile pour Hulot d'y trouver vraiment ses marques.

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Perpétuel "inadapté" - aucune vie de famille (po marié) ou professionnelle (po de taff), c'est mal -, maladroit comme deux oeufs, Hulot passe son temps à foutre le Bronx dans la maison de sa soeur ou à l'usine. Il s'étonne de tout faire partir en live malgré lui, mais ses multiples pitreries d'éternel enfant innocent sont un régal. Il se donne d'ailleurs le beau rôle en étant toujours du côté des gamins qui font les 400 coups. Son neveu l'apprécie forcément dix fois plus que ses propres parents aseptisés - même si sur la fin, Tati est tout de même beau joueur puisqu'il montre la réconciliation entre son neveu et le père de celui-ci (uniquement parce que le père se conduit (malgré lui) comme le gamin et non l'inverse, ceci dit...). La séquence qui m'explose toujours le plus est celle où Hulot fait rebondir douze fois la carafe "ultra ergonomique" - avec un fond en plastoc en forme de ballon (le truc super utile, disons-le) - puis lâche un verre qui n'est, lui, jamais qu'un verre et se pète en mille morceaux : il tente de comprendre le monde moderne, seulement comme la logique de celui-ci lui échappe, il en perd lui-même son bon sens. C'est abyssal. Le monde moderne ou l'art de faire de façon compliquée les choses les plus simples et de se piéger soi-même derrière les illusions du côté "pratique" - le couple qui vient de poser un nouvelle porte électrique pour la bagnole et qui reste enfermé comme deux brèles dans le garage : on voit bien où est le gain de temps. J'aime beaucoup aussi cette "pièce d'eau" que l'on n'active que lorsqu'on reçoit un invité de marque : Hulot ou les petits commerçants peuvent, eux, aller se faire voir ; le paraître bourgeois ou l'art de montrer son dédain pour les gens de peu (qui ne méritent aucun égard d'autant qu'ils ne pourraient sûrement point apprécier une telle "oeuvre d'art" moderne - belle à vomir d'ailleurs)

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On sent que Tati a su affiner son sens du cadre pour ce troisième long-métrage avant de parvenir au nirvana dans Playtime. Chaque décor semble déjà avoir été pensé, conçu en fonction de chaque gag (les immenses vitres-hublots où les deux têtes, la nuit, deviennent des pupilles : absolument fabuleux) et la merveilleuse petite musique tatinesque semble comme jamais rythmer chaque situation (le final jazzy est à se tordre au niveau du timing). Le bruitage est également un vrai bonheur, aucun objet en mouvement n'étant laissé au hasard ; il semble d'ailleurs que pour chaque chose un nouveau son a été crée comme pour renforcer cette impression générale d'une nouvelle civilisation du "toc". Magnifique et inépuisable. Mon Oncle en a, définitivement...   (Shang - 06/10/09)

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Le compère Shang semble bien avoir fait brillamment le tour de ce film poétique et précieux, qu'il est effectivement très agréable de revoir de temps en temps. Ne serait-ce que pour vérifier que la tendresse a encore droit de citer dans notre pute de société de consommation toute pourrite : Hulot est le dernier Mohican d'un temps passé, celui de l'artisanat, du fait main, des petites conversations entre êtres humains au marché du coin, des bruitages faits à la bouche, de l'enfance, opposé au progrès dans toute son inconsistance, et on rigole bien devant cet aspect "rond qui rentre pas dans le carré" de son personnage lunaire et rêveur. Il y a finalement pas mal d'effronterie, presque politique, à voir ce personnage inadapté tenter de rentrer dans le moule du monde moderne et s'en montrer incapable. Et pas mal d'irrévérence dans ce portrait d'un univers aseptisé uniquement guidé par le sens des convenances et une "praticité" complètement absurde : la villa est un monstre de technologie inutile, d'une architecture effrayante (toute en angle et en parallélisme, même les chemins qui mènent à la sortie sont des labyrinthes), son équipement design n'aboutissant qu'à une incommunicabilité de tous. L'absence de dialogues construits chère à Tati trouve ici son pleine expression : ce qu'on peut se dire est totalement assujetti aux conventions de la classe bourgeoise, ou étouffé dans l'oeuf par le vacarme des appareils technologiques. Reste donc à Hulot le silence : il s'en sert pour livrer un festival de pantomime absurde, hyper fin, qui n'a l'air de rien mais qui en dit beaucoup sur notre société (et sur le talent de son interprète). On peut trouver cette vision réac, et elle l'est sûrement un peu : dans ses mauvais moments, le film a un côté Amélie Poulain assez agaçant, du genre "c'était mieux avant, quand les gens se parlaient". Mais dans ses meilleurs, il retranscrit avec poésie la beauté toute simple des choses : un jeu d'enfants, un petit tic (le balayeur qui ne finit jamais son travail, pris dans des conversations avec les voisins), un monde à la Prévert, innocent, un retour à l'état de grâce qui marque des points. Il y a un côté "paradis originel" dans ce faubourg parisien (qui n'est pas un village, comme le dit mon gars Shang) préservé des affres de la modernité, et Tati ne se cache pas de son caractère désuet pour le mettre en valeur. Bref, le film est charmant, rigolo, impeccable au niveau technique (musique, sons, couleurs, mise en scène sont tout simplement géniaux), et si on n'est pas encore dans la fulgurance de Playtime, on passe un moment délicieux en compagnie du gars Hulot et de son neveu turbulent.   (Gols - 27/04/19)

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