L'Inconnu (The Unknown) (1927) de Tod Browning
Ambiance de cirque, amour impossible, meurtre et vengeance au programme de cet excellent film de Tod Browning qui fait enfin son apparition dans la colonne de gauche. Les longues gambettes de Joan Crawford apportent une évidente touche de charme à ce drame, bien que la gazelle ne soit pas vraiment facile à saisir... Le faciès de Lon Chaney et son rire carnassier, accompagnés de son acolyte, le nain Cojo, permettent quant à eux de faire planer une petite touche d'étrange inquiétude sur le récit...
Lon Chaney, dit "l'homme au mille visages" n'a point de bras. Cela ne l'empêche de se servir de ses pieds : il tire à la carabine ou lance des couteaux avec une précision terrible - il parvient même à se frotter les deux yeux avec les orteils d'un même pied ce qui impose le respect. Il est amoureux de la divinissime Joan Crawford, 22 ans et des yeux de tigresse, mais il est en concurrence avec Malabar, l'homme fort du cirque. Lon possède malgré tout un gros avantage sur l'autre soupirant : la Joan ne supporte point que des mains d'hommes la tripotent. Les deux hommes se jaugent de loin mais Lon a plus d'un tour dans son sac : en fait il cache ses bras sous un terrible corset mais se refuse à révéler son lourd secret : d'une part, il perdrait des points par rapport à la Joan et surtout il a deux pouces à une main - sachant qu'il a commis déjà divers larcins, il est clair qu'au niveau des empreintes, c'est du pain béni pour tout inspecteur qui se respecte... A cela s'ajoute le fait qu'il a étranglé le père de Joan sous les yeux de celle-ci : elle a ainsi pu remarquer, au passage, l'étrange main de l'assassin. Comme la Joan se fait de plus en plus pressante à son endroit (forcément, il risque po de la caresser, si ce n'est du nez), il prend une décision tranchante : celle de se faire couper les bras une bonne fois pour toutes ! Pas de bol, entre temps, le Malabar est parvenu à ses fins auprès de la Joan qui a vaincu sa phobie - il a suffit qu'elle chute d'un escalier et que le Malabar la prenne dans ses bras pour qu'elle se rende compte que des mains d'hommes, c'était po si terrible - c'était bien la peine de faire tout ce cinéma, tiens. Lorsque Lon recroise la Joan celle-ci lui dit : "On va se marier" - il jubile d'avance, sauf qu'il avait pas compris que ce "on", c'était elle et Malabar. Comme ses bras ne peuvent plus lui en tomber, un rire démoniaque le saisit (po de bras, po de Joan, dur) et il se jure de se venger lors d'un prochain numéro périlleux du Malabar - mais un coup fourré contre un Malabar, ça peut toujours vous exploser à la tronche.
Il est clair que pour aller pécher un scénario pareil, il faut se creuser la cervelle. Il y a en plus en filigrane, de sourds sous-entendus sentimentalo-sexuels assez intrigants : la bombe Joan qui fait sa mijaurée mais qui se décoince dès qu'on la prend à bras le corps, le Lon prêt à se mutiler pour gagner le coeur de sa belle - c'est romantique comme tout, mais si cela échoue tu payes le prix fort quand même -, et l'homme fort, ben c'est l'homme fort, il gagne toujours (po juste) - bon, il risque tout de même un moment de se faire écarteler (il faut souffrir pour gagner le coeur d'une femme, clair), et heureusement que le Malabar est élastique (roh, c'était tentant...). Ouvrons plus grand notre porte au monde troublant du Tod!