Les Enfants du Paradis de Marcel Carné - 1945
Il est comme ça des mythes dont on s'est mis en tête depuis toujours que leur réputation était justifiée, sans prendre la peine de revenir dessus. Mais bon, histoire de vérifier, je viens de revoir cette légende du cinéma français. Le constat est dur : Les Enfants du Paradis, c'est pas terrible. On comprend bien pourquoi ce film a fait le tour du monde, s'attirant de plus en plus de fans : c'est joli tout plein, rempli de sentiments purs, ça donne une image de Paris et des Français toute désuète et gentillette, et c'est en plus écrit par Prévert. Tout pour plaire au plus grand nombre, donc. Mais si on regarde ça avec des yeux d'aujourd'hui, on ne peut que soupirer.
3 heures de bons mots ("Paris est tout petit pour des gens qui s'aiment comme nous d'un si grand amour", c'est si génial que ça ?) distillés par des comédiens au jeu dépassé, on a beau dire, ça fait un peu mal. On s'ennuie comme un rat mort devant ces péripéties attendues d'une poignée de personnages tourmentés par l'amour précieux, et si à chaque poste on trouve du beau monde (Trauner au décor, Kosma à la musique, Barrault, Brasseur, Arletty et toute la clique des acteurs de l'époque à l'interprétation), jamais on ne sort de ce cinéma de papa poussiéreux et finalement bien fade. La faute surtout à Carné lui-même, qui se comporte souvent comme un simple enfant émerveillé devant la splendeur de ses décors ou la réputation de ses comédiens : le film n'est pas dirigé, mis en scène au plus court, toujours au service du seul scénario alors qu'on attendait un vrai regard. J'ai eu beau ouvrir les yeux, je n'ai pas trouvé un seul parti pris dans cette mise en scène sans caractère : de plats champs/contre-champs, des lumières complètement dans la veine de l'époque (ces rais de lumière qui tombent sur les regards, c'est joli, mais tout le monde le fait dans les années 40), des scènes de foule habituelles, et surtout toutes ces séquences au théâtre filmées comme des clichés (un acteur sur scène, le public qui réagit, et on continue dans cette mise en scène binaire pour chacune de ces séquences).
Quant aux acteurs, il sont certes attachants, mais comme témoins d'un type de jeu qu'on n'ose plus imaginer : si Brasseur est vraiment drôle en cabotin à panache, les autres semblent sortis d'un catalogue de clichés (sûrement parce que leurs personnages manquent de profondeur, sont souvent d'un bloc) : Barrault en mime forcément rêveur, Casarès en amoureuse mélodramatique, Herrand en criminel dandy grand crin, ou Modot en faux aveugle sorti du théâtre de Brecht, on a l'impression de les avoir déjà tous vus ailleurs, comme des caractères de comedia que Carné n'arrive pas à renouveler. Peut-être est-ce pour montrer que le monde est un théâtre peuplé des mêmes marionnettes que sur scène, mais ça ne marche pas, ça déshumanise ces personnages. Les acteurs en font trop, leurs dialogues sont trop écrits, trop à l'esbroufe. Quant à Arletty, elle semble figée dans ce personnage un peu plus intéressant de fille du peuple désabusée : son visage a l'air de cire, elle manque totalement d'expression (surtout face à ses partenaires très cabots). C'est une époque, je le reconnais, et c'est vrai que Les Enfants du Paradis est intéressant dans son côté documentaire : comment jouait-on en 1945 en France ? Mais quand on pense qu'à la même époque, Renoir avait déjà signé maints chefs-d'oeuvre, on soupire devant ce vieux vieux vieux cinéma académique.
Bon, je reconnais que le film peut amuser et captiver quand il s'attaque au sujet purement historique du théâtre : il enregistre avec malice la métamorphose du spectacle à l'époque, l'invention d'un théâtre moderne, et surtout les difficiles relations du théâtre populaire et du théâtre littéraire. On sent bien l'effervescence qui régnait sur les boulevards parisiens en ce début de XIXème siècle, et l'importance que revêtait la création d'un nouveau spectacle pour l'ensemble de la population. Comme théâtreux, c'est vrai que c'est un beau témoignage de la puissance de la scène sur le peuple. Mais à part ça, et c'est complètement subjectif (n'allez pas encore une fois vous offusquer dans les commentaires), Les Enfants du Paradis m'est tombé des yeux.