Les Lois de l'Attraction (The Rules of Attraction) de Roger Avary - 2002
The Rules of Attraction est la preuve éclatante de la suprématie de la littérature sur le cinéma. En tentant d'adapter le formidable bouquin de Brett Easton Ellis, Avary se heurte à un mur : autant dans le roman le style froid, dé-psychologisé, terne, servait parfaitement le fond du propos (à savoir qu'il n'y a pas de fond dans la société hyper-sexuée contemporaine), autant l'adaptation de ce style au cinéma est un échec total. Sans doute que les personnages ne peuvent pas fonctionner s'ils sont "incarnés", leur spécificité étant justement d'être des façades, presque des symboles de la jeunesse anémiée qu'on trouve sur les campus américains.
Ellis jouait avec une grande intelligence sur les icônes rock'n roll et médiatiques de son époque ; Avary se contente d'aligner les disques ou de diffuser des films sur les télés en arrière-plan. Ellis enregistrait la froideur sans affect des garçons et des filles ; enchaîné dans sa volonté de "faire sens", d'aligner un scénario, Avary charge sa trame de sentiments moralistes à côté de la plaque. Ellis inventait un style certes très tendance, mais audacieux et étrange, que seuls les moyens de la littérature pouvaient lui donner ; Avary tombe dans le tic de petit malin (images rembobinées, split-screen inutile, montage épileptique). Bref, c'est un râtage total, d'autant que les comédiens, effarés devant leurs non-personnages, sont mauvais comme des cochons (la Palme à ce jeune mec qui a trop regardé Shining et qui se contente de regards grimaçants pour faire croire à sa folie). Ben oui, "habiter" un personnage d'Ellis, c'est trahir Ellis. The Rules of Attraction finit par ressembler à un de ces films de Tarantino (cité, d'ailleurs) : flashy, mais vide, avec l'inconvénient de n'être même pas drôle, et de se prendre même beaucoup au sérieux. La provocation semble bien tenir lieu de satisfaction artistique à Avary, mais il y a dix fois plus d'audace chez un Larry Clark qu'ici, les scènes de sexe ou de violence étant douillettement dissimulées par un hors-champ bien timide. Il faut donc relire Ellis pour sentir la puissance du projet initial, et oublier ce teenage-movie vaseux, sans rythme et sans intelligence.